ソシュール『一般言語学講義』註解 #25
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原著: pp. 246-250
小林訳: pp. 250-254
菅田訳: pp. 174-177
町田訳: pp. 251-255
各文の頭についている上付きの数字は、原著の「ページ数-行数」を示しています。
Cours 原文
CHAPITRE VIII
UNITÉS, IDENTITÉS ET RÉALITÉS DIACHRONIQUES
²⁴⁶⁻⁴La linguistique statique opère sur des unités qui existent selon l’enchaînement synchronique. ²⁴⁶⁻⁵Tout ce qui vient d’être dit prouve que dans une succession diachronique on n’a pas affaire à des éléments délimités une fois pour toutes, tels qu’on pourrait les figurer par le graphique :
²⁴⁶⁻⁹Au contraire, d’un moment à l’autre ils se répartissent autrement, en vertu des événements dont la langue est le théâtre, de sorte qu’ils répondraient plutôt à la figure :
²⁴⁶⁻¹²Cela résulte de tout ce qui a été dit à propos des conséquences de l’évolution phonétique, de l’analogie, de l’agglutination, etc.
²⁴⁶⁻¹⁵Presque tous les exemples cités jusqu’ici appartiennent à la formation des mots ; en voici un autre emprunté à la syntaxe. ²⁴⁷⁻²L’indo-européen ne connaissait pas les prépositions ; les rapports qu’elles indiquent étaient marqués par des cas nombreux et pourvus d’une grande force significative. ²⁴⁷⁻⁵Il n’y avait pas non plus de verbes composés au moyen de préverbes, mais seulement des particules, petits mots qui s’ajoutaient à la phrase pour préciser et nuancer l’action du verbe. ²⁴⁷⁻⁸Ainsi, rien qui correspondît au latin $${\textit{īre}}$$ $${\textit{ob}}$$ $${\textit{mortem}}$$ « aller au-devant de la mort », ni à $${\textit{obīre}}$$ $${\textit{mortem }}$$; on aurait dit : $${\textit{īre}}$$ $${\textit{mortem}}$$ $${\textit{ob.}}$$ ²⁴⁷⁻¹⁰C’est encore l’état du grec primitif : 1º $${\textit{óreos}}$$ $${\textit{baínō}}$$ $${\textit{káta ;}}$$ $${\textit{óreos}}$$ $${\textit{baínō}}$$ signifie à lui seul « je viens de la montagne », le génitif ayant la valeur de l’ablatif ; $${\textit{káta}}$$ ajoute la nuance « en descendant ». ²⁴⁷⁻¹³A une autre époque on a eu 2º $${\textit{katà}}$$ $${\textit{óreos}}$$ $${\textit{baínō,}}$$ où $${\textit{katà}}$$ joue le rôle de préposition, ou encore 3º $${\textit{kata-baínō}}$$ $${\textit{óreos,}}$$ par agglutination du verbe et de la particule, devenue préverbe.
[…] ²⁴⁷⁻³⁴il s’agit donc bien d’une répartition nouvelle des unités. […]
²⁴⁸⁻¹¹Nous avons dit que l’altération du signe est un déplacement de rapport entre le signifiant et le signifié. ²⁴⁸⁻¹³Cette définition s’applique non seulement à l’altération des termes du système, mais à l’évolution du système lui-même ; le phénomène diachronique dans son ensemble n’est pas autre chose. […]
²⁴⁹⁻⁵Mais une autre question, particulièrement délicate, est celle de $${\text{l’}\textit{identité}}$$ $${\textit{diachronique.}}$$ ²⁴⁹⁻⁶En effet, pour que je puisse dire qu’une unité a persisté identique à elle-même, ou que tout en persistant comme unité distincte, elle a changé de forme ou de sens — car tous ces cas sont possibles, — il faut que je sache sur quoi je me fonde pour affirmer qu’un élément pris à une époque, par exemple le mot français $${\textit{chaud,}}$$ est la même chose qu’un élément pris à une autre époque, par exemple le latin $${\textit{calidum.}}$$ […]
²⁴⁹⁻²²Mais en fait, il est impossible que le son rende compte à lui seul de l’identité. ²⁴⁹⁻²⁴On a sans doute raison de dire que lat. $${\textit{mare}}$$ doit paraître en français sous la forme de $${\textit{mer}}$$ parce que tout $${\textit{a}}$$ est devenu $${\textit{e}}$$ dans certaines conditions, parce que $${\textit{e}}$$ atone final tombe, etc. ; mais affirmer que ce sont ces rapports $${\textit{a→e,}}$$ $${\textit{e→zéro,}}$$ etc., qui constituent l’identité, c’est renverser les termes, puisque c’est au contraire au nom de la correspondance $${\textit{mare :}}$$ $${\textit{mer}}$$ que je juge que $${\textit{a}}$$ est devenu $${\textit{e,}}$$ que $${\textit{e}}$$ final est tombé, etc.
[…] ²⁵⁰⁻¹Or l’identité diachronique de deux mots aussi différents que $${\textit{calidum}}$$ et $${\textit{chaud}}$$ signifie simplement que l’on a passé de l’un à l’autre à travers une série d’identités synchroniques dans la parole, sans que jamais le lien qui les unit ait été rompu par les transformations phonétiques successives. ²⁵⁰⁻⁶Voilà pourquoi nous avons pu dire qu’il est tout aussi intéressant de savoir comment $${\textit{Messieurs !}}$$ répété plusieurs fois de suite dans un discours est identique à lui-même, que de savoir pourquoi $${\textit{pas}}$$ (négation) est identique à $${\textit{pas}}$$ (substantif) ou, ce qui revient au même, pourquoi $${\textit{chaud}}$$ est identique à $${\textit{calidum.}}$$ ²⁵⁰⁻¹²Le second problème n’est en effet qu’un prolongement et une complication du premier.
註解
²⁴⁶⁻⁴La linguistique statique opère sur des unités qui existent selon l’enchaînement synchronique.
²⁴⁶⁻⁵Tout ce qui vient d’être dit prouve que dans une succession diachronique on n’a pas affaire à des éléments délimités une fois pour toutes, tels qu’on pourrait les figurer par le graphique :
²⁴⁶⁻⁹Au contraire, d’un moment à l’autre ils se répartissent autrement, en vertu des événements dont la langue est le théâtre, de sorte qu’ils répondraient plutôt à la figure :
²⁴⁶⁻¹²Cela résulte de tout ce qui a été dit à propos des conséquences de l’évolution phonétique, de l’analogie, de l’agglutination, etc.
²⁴⁶⁻¹⁵Presque tous les exemples cités jusqu’ici appartiennent à la formation des mots ; en voici un autre emprunté à la syntaxe.
²⁴⁷⁻²L’indo-européen ne connaissait pas les prépositions ; les rapports qu’elles indiquent étaient marqués par des cas nombreux et pourvus d’une grande force significative.
²⁴⁷⁻⁵Il n’y avait pas non plus de verbes composés au moyen de préverbes, mais seulement des particules, petits mots qui s’ajoutaient à la phrase pour préciser et nuancer l’action du verbe.
²⁴⁷⁻⁸Ainsi, rien qui correspondît au latin $${\textit{īre}}$$ $${\textit{ob}}$$ $${\textit{mortem}}$$ « aller au-devant de la mort », ni à $${\textit{obīre}}$$ $${\textit{mortem }}$$; on aurait dit : $${\textit{īre}}$$ $${\textit{mortem}}$$ $${\textit{ob.}}$$
²⁴⁷⁻¹⁰C’est encore l’état du grec primitif : 1º $${\textit{óreos}}$$ $${\textit{baínō}}$$ $${\textit{káta ;}}$$ $${\textit{óreos}}$$ $${\textit{baínō}}$$ signifie à lui seul « je viens de la montagne », le génitif ayant la valeur de l’ablatif ; $${\textit{káta}}$$ ajoute la nuance « en descendant ».
²⁴⁷⁻¹³A une autre époque on a eu 2º $${\textit{katà}}$$ $${\textit{óreos}}$$ $${\textit{baínō,}}$$ où $${\textit{katà}}$$ joue le rôle de préposition, ou encore 3º $${\textit{kata-baínō}}$$ $${\textit{óreos,}}$$ par agglutination du verbe et de la particule, devenue préverbe.
²⁴⁷⁻³⁴il s’agit donc bien d’une répartition nouvelle des unités.
²⁴⁸⁻¹¹Nous avons dit que l’altération du signe est un déplacement de rapport entre le signifiant et le signifié.
²⁴⁸⁻¹³Cette définition s’applique non seulement à l’altération des termes du système, mais à l’évolution du système lui-même ; le phénomène diachronique dans son ensemble n’est pas autre chose.
²⁴⁹⁻⁵Mais une autre question, particulièrement délicate, est celle de $${\text{l’}\textit{identité}}$$ $${\textit{diachronique.}}$$
²⁴⁹⁻⁶En effet, pour que je puisse dire qu’une unité a persisté identique à elle-même, ou que tout en persistant comme unité distincte, elle a changé de forme ou de sens — car tous ces cas sont possibles, — il faut que je sache sur quoi je me fonde pour affirmer qu’un élément pris à une époque, par exemple le mot français $${\textit{chaud,}}$$ est la même chose qu’un élément pris à une autre époque, par exemple le latin $${\textit{calidum.}}$$
²⁴⁹⁻²²Mais en fait, il est impossible que le son rende compte à lui seul de l’identité.
²⁴⁹⁻²⁴On a sans doute raison de dire que lat. $${\textit{mare}}$$ doit paraître en français sous la forme de $${\textit{mer}}$$ parce que tout $${\textit{a}}$$ est devenu $${\textit{e}}$$ dans certaines conditions, parce que $${\textit{e}}$$ atone final tombe, etc. ; mais affirmer que ce sont ces rapports $${\textit{a→e,}}$$ $${\textit{e→zéro,}}$$ etc., qui constituent l’identité, c’est renverser les termes, puisque c’est au contraire au nom de la correspondance $${\textit{mare :}}$$ $${\textit{mer}}$$ que je juge que $${\textit{a}}$$ est devenu $${\textit{e,}}$$ que $${\textit{e}}$$ final est tombé, etc.
²⁵⁰⁻¹Or l’identité diachronique de deux mots aussi différents que $${\textit{calidum}}$$ et $${\textit{chaud}}$$ signifie simplement que l’on a passé de l’un à l’autre à travers une série d’identités synchroniques dans la parole, sans que jamais le lien qui les unit ait été rompu par les transformations phonétiques successives.
²⁵⁰⁻⁶Voilà pourquoi nous avons pu dire qu’il est tout aussi intéressant de savoir comment $${\textit{Messieurs !}}$$ répété plusieurs fois de suite dans un discours est identique à lui-même, que de savoir pourquoi $${\textit{pas}}$$ (négation) est identique à $${\textit{pas}}$$ (substantif) ou, ce qui revient au même, pourquoi $${\textit{chaud}}$$ est identique à $${\textit{calidum.}}$$
²⁵⁰⁻¹²Le second problème n’est en effet qu’un prolongement et une complication du premier.
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