ソシュール『一般言語学講義』註解 #13
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原著: pp. 155-169
小林訳: pp. 157-170
菅田訳: pp. 88-103
町田訳: pp. 158-171
各文の頭についている上付きの数字は、原著の「ページ数-行数」を示しています。
Cours 原文 § 1.
CHAPITRE IV
LA VALEUR LINGUISTIQUE
§ 1. LA LANGUE COMME PENSÉE ORGANISÉE DANS LA MATIÈRE PHONIQUE.
¹⁵⁵⁻⁵Pour se rendre compte que la langue ne peut être qu’un système de valeurs pures, il suffit de considérer les deux éléments qui entrent en jeu dans son fonctionnement : les idées et les sons.
¹⁵⁵⁻⁹Psychologiquement, abstraction faite de son expression par les mots, notre pensée n’est qu’une masse amorphe et indistincte. ¹⁵⁵⁻¹¹Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à reconnaître que, sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées d’une façon claire et constante. ¹⁵⁵⁻¹⁴Prise en elle-même, la pensée est comme une nébuleuse où rien n’est nécessairement délimité. ¹⁵⁵⁻¹⁵Il n’y a pas d’idées préétablies, et rien n’est distinct avant l’apparition de la langue.
[…] ¹⁵⁵⁻²⁰La substance phonique n’est pas plus fixe ni plus rigide ; ce n’est pas un moule dont la pensée doive nécessairement épouser les formes, mais une matière plastique qui se divise à son tour en parties distinctes pour fournir les signifiants dont la pensée a besoin. ¹⁵⁵⁻²⁴Nous pouvons donc représenter le fait linguistique dans son ensemble, c’est-à-dire la langue, comme une série de subdivisions contiguës dessinées à la fois sur le plan indéfini des idées confuses $${(A)}$$ et sur celui non moins indéterminé des sons $${(B)}$$ ; c’est ce qu’on peut figurer très approximativement par le schéma :
¹⁵⁶⁻⁵Le rôle caractéristique de la langue vis-à-vis de la pensée n’est pas de créer un moyen phonique matériel pour l’expression des idées, mais de servir d’intermédiaire entre la pensée et le son, dans des conditions telles que leur union aboutit nécessairement à des délimitations réciproques d’unités. […]
¹⁵⁷⁻¹La langue est encore comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le verso ; on ne peut découper le recto sans découper en même temps le verso ; de même dans la langue, on ne saurait isoler ni le son de la pensée, ni la pensée du son ; on n’y arriverait que par une abstraction dont le résultat serait de faire de la psychologie pure ou de la phonologie pure.
¹⁵⁷⁻⁸La linguistique travaille donc sur le terrain limitrophe où les éléments des deux ordres se combinent ; $${\textit{cette}}$$$${\textit{combinaison}}$$$${\textit{produit}}$$$${\textit{une}}$$$${\textit{forme,}}$$$${\textit{non}}$$$${\textit{une}}$$$${\textit{substance.}}$$ […]
¹⁵⁷⁻³⁵Pour développer cette thèse nous nous placerons successivement au point de vue du signifié ou concept (§ 2), du signifiant (§ 3) et du signe total (§ 4).
¹⁵⁸⁻³Ne pouvant saisir directement les entités concrètes ou unités de la langue, nous opérerons sur les mots. ¹⁵⁸⁻⁴Ceux-ci, sans recouvrir exactement la définition de l’unité linguistique, en donnent du moins une idée approximative qui a l’avantage d’être concrète ; nous les prendrons donc comme spécimens équivalents des termes réels d’un système synchronique, et les principes dégagés à propos des mots seront valables pour les entités en général.
註解 § 1.
¹⁵⁵⁻⁵Pour se rendre compte que la langue ne peut être qu’un système de valeurs pures, il suffit de considérer les deux éléments qui entrent en jeu dans son fonctionnement : les idées et les sons.
¹⁵⁵⁻⁹Psychologiquement, abstraction faite de son expression par les mots, notre pensée n’est qu’une masse amorphe et indistincte.
¹⁵⁵⁻¹¹Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à reconnaître que, sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées d’une façon claire et constante.
¹⁵⁵⁻¹⁴Prise en elle-même, la pensée est comme une nébuleuse où rien n’est nécessairement délimité.
¹⁵⁵⁻¹⁵Il n’y a pas d’idées préétablies, et rien n’est distinct avant l’apparition de la langue.
¹⁵⁵⁻²⁰La substance phonique n’est pas plus fixe ni plus rigide ; ce n’est pas un moule dont la pensée doive nécessairement épouser les formes, mais une matière plastique qui se divise à son tour en parties distinctes pour fournir les signifiants dont la pensée a besoin.
¹⁵⁵⁻²⁴Nous pouvons donc représenter le fait linguistique dans son ensemble, c’est-à-dire la langue, comme une série de subdivisions contiguës dessinées à la fois sur le plan indéfini des idées confuses $${(A)}$$ et sur celui non moins indéterminé des sons $${(B)}$$ ; c’est ce qu’on peut figurer très approximativement par le schéma :
¹⁵⁶⁻⁵Le rôle caractéristique de la langue vis-à-vis de la pensée n’est pas de créer un moyen phonique matériel pour l’expression des idées, mais de servir d’intermédiaire entre la pensée et le son, dans des conditions telles que leur union aboutit nécessairement à des délimitations réciproques d’unités.
¹⁵⁷⁻¹La langue est encore comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le verso ; on ne peut découper le recto sans découper en même temps le verso ; de même dans la langue, on ne saurait isoler ni le son de la pensée, ni la pensée du son ; on n’y arriverait que par une abstraction dont le résultat serait de faire de la psychologie pure ou de la phonologie pure.
¹⁵⁷⁻⁸La linguistique travaille donc sur le terrain limitrophe où les éléments des deux ordres se combinent ; $${\textit{cette}}$$$${\textit{combinaison}}$$$${\textit{produit}}$$$${\textit{une}}$$$${\textit{forme,}}$$$${\textit{non}}$$$${\textit{une}}$$$${\textit{substance.}}$$
¹⁵⁷⁻³⁵Pour développer cette thèse nous nous placerons successivement au point de vue du signifié ou concept (§ 2), du signifiant (§ 3) et du signe total (§ 4).
¹⁵⁸⁻³Ne pouvant saisir directement les entités concrètes ou unités de la langue, nous opérerons sur les mots.
¹⁵⁸⁻⁴Ceux-ci, sans recouvrir exactement la définition de l’unité linguistique, en donnent du moins une idée approximative qui a l’avantage d’être concrète ; nous les prendrons donc comme spécimens équivalents des termes réels d’un système synchronique, et les principes dégagés à propos des mots seront valables pour les entités en général.
Cours 原文 § 2.
§ 2. LA VALEUR LINGUISTIQUE CONSIDÉRÉE DANS SON ASPECT CONCEPTUEL.
¹⁵⁸⁻¹³Quand on parle de la valeur d’un mot, on pense généralement et avant tout à la propriété qu’il a de représenter une idée, et c’est là en effet un des aspects de la valeur linguistique. ¹⁵⁸⁻¹⁶Mais s’il en est ainsi, en quoi cette valeur diffère-t-elle de ce qu’on appelle la $${\textit{signification ?}}$$ ¹⁵⁸⁻¹⁷Ces deux mots seraient-ils synonymes ? […]
¹⁵⁸⁻²²La valeur, prise dans son aspect conceptuel, est sans doute un élément de la signification, et il est très difficile de savoir comment celle-ci s’en distingue tout en étant sous sa dépendance. ¹⁵⁸⁻²⁵Pourtant il est nécessaire de tirer au clair cette question, sous peine de réduire la langue à une simple nomenclature.
¹⁵⁸⁻²⁸Prenons d’abord la signification telle qu’on se la représente. […] ¹⁵⁸⁻³¹Elle n’est, comme l’indiquent les flèches de la figure, que la contre-partie de l’image auditive. ¹⁵⁸⁻³³Tout se passe entre l’image auditive et le concept, dans les limites du mot considéré comme un domaine fermé, existant pour lui-même.
¹⁵⁹⁻³Mais voici l’aspect paradoxal de la question : d’un côté, le concept nous apparaît comme la contre-partie de l’image auditive dans l’intérieur du signe, et, de l’autre, ce signe lui-même, c’est-à-dire le rapport qui relie ses deux éléments, est aussi, et tout autant la contre-partie des autres signes de la langue.
¹⁵⁹⁻⁹Puisque la langue est un système dont tous les termes sont solidaires et où la valeur de l’un ne résulte que de la présence simultanée des autres, selon le schéma :
comment se fait-il que la valeur, ainsi définie, se confonde avec la signification, c’est-à-dire avec la contre-partie de l’image auditive ? ¹⁵⁹⁻¹⁴Il semble impossible d’assimiler les rapports figurés ici par des flèches horizontales à ceux qui sont représentés plus haut par des flèches verticales. […]
¹⁵⁹⁻²²Pour répondre à cette question, constatons d’abord que même en dehors de la langue, toutes les valeurs semblent régies par ce principe paradoxal. ¹⁵⁹⁻²⁴Elles sont toujours constituées :
1º par une chose $${\textit{dissemblable}}$$ susceptible d’être $${\textit{échangée}}$$ contre celle dont la valeur est à déterminer ;
2º par des choses $${\textit{similaires}}$$ qu’on peut $${\textit{comparer}}$$ avec celle dont la valeur est en cause.
¹⁵⁹⁻³⁰Ces deux facteurs sont nécessaires pour l’existence d’une valeur. ¹⁵⁹⁻³¹Ainsi pour déterminer ce que vaut une pièce de cinq francs, il faut savoir : 1º qu’on peut l’échanger contre une quantité déterminée d’une chose différente, par exemple du pain ; 2º qu’on peut la comparer avec une valeur similaire du même système, par exemple une pièce d’un franc, ou avec une monnaie d’un autre système (un dollar, etc.). ¹⁶⁰⁻⁶De même un mot peut être échangé contre quelque chose de dissemblable : une idée ; en outre, il peut être comparé avec quelque chose de même nature : un autre mot. ¹⁶⁰⁻⁸Sa valeur n’est donc pas fixée tant qu’on se borne à constater qu’il peut être « échangé » contre tel ou tel concept, c’est-à-dire qu’il a telle ou telle signification ; il faut encore le comparer avec les valeurs similaires, avec les autres mots qui lui sont opposables. ¹⁶⁰⁻¹³Son contenu n’est vraiment déterminé que par le concours de ce qui existe en dehors de lui. ¹⁶⁰⁻¹⁴Faisant partie d’un système, il est revêtu, non seulement d’une signification, mais aussi et surtout d’une valeur, et c’est tout autre chose.
¹⁶⁰⁻¹⁷Quelques exemples montreront qu’il en est bien ainsi. Le français $${\textit{mouton}}$$ peut avoir la même signification que l’anglais $${\textit{sheep,}}$$ mais non la même valeur, et cela pour plusieurs raisons, en particulier parce qu’en parlant d’une pièce de viande apprêtée et servie sur la table, l’anglais dit $${\textit{mutton}}$$ et non $${\textit{sheep.}}$$ ¹⁶⁰⁻²²La différence de valeur entre $${\textit{sheep}}$$ et $${\textit{mouton}}$$ tient à ce que le premier a à côté de lui un second terme, ce qui n’est pas le cas pour le mot français.
¹⁶⁰⁻²⁵Dans l’intérieur d’une même langue, tous les mots qui expriment des idées voisines se limitent réciproquement : des synonymes comme $${\textit{redouter,}}$$$${\textit{craindre,}}$$$${\textit{avoir}}$$$${\textit{peur}}$$ n’ont de valeur propre que par leur opposition ; si $${\textit{redouter}}$$ n’existait pas, tout son contenu irait à ses concurrents. […] ¹⁶⁰⁻³³Ainsi la valeur de n’importe quel terme est déterminée par ce qui l’entoure ; il n’est pas jusqu’au mot signifiant « soleil » dont on puisse immédiatement fixer la valeur si l’on ne considère pas ce qu’il y a autour de lui ; il y a des langues où il est impossible de dire « s’asseoir au $${\textit{soleil}}$$ ».
¹⁶¹⁻⁴Ce qui est dit des mots s’applique à n’importe quel terme de la langue, par exemple aux entités grammaticales. ¹⁶¹⁻⁶Ainsi la valeur d’un pluriel français ne recouvre pas celle d’un pluriel sanscrit, bien que la signification soit le plus souvent identique : c’est que le sanscrit possède trois nombres au lieu de deux $${(\textit{mes}}$$$${\textit{yeux,}}$$$${\textit{mes}}$$$${\textit{oreilles,}}$$$${\textit{mes}}$$$${\textit{bras,}}$$$${\textit{mes}}$$$${\textit{jambes,}}$$etc., seraient au duel) ; […]
¹⁶¹⁻¹⁵Si les mots étaient chargés de représenter des concepts donnés d’avance, ils auraient chacun, d’une langue à l’autre, des correspondants exacts pour le sens ; or il n’en est pas ainsi. ¹⁶¹⁻¹⁸Le français dit indifféremment $${\textit{louer}}$$ $${(\textit{une}}$$ $${\textit{maison})}$$ pour « prendre à bail » et « donner à bail », là où l’allemand emploie deux termes : $${\textit{mieten}}$$ et $${\textit{vermieten}}$$ ; il n’y a donc pas correspondance exacte des valeurs. […]
註解 § 2.
¹⁵⁸⁻¹³Quand on parle de la valeur d’un mot, on pense généralement et avant tout à la propriété qu’il a de représenter une idée, et c’est là en effet un des aspects de la valeur linguistique.
¹⁵⁸⁻¹⁶Mais s’il en est ainsi, en quoi cette valeur diffère-t-elle de ce qu’on appelle la $${\textit{signification ?}}$$
¹⁵⁸⁻¹⁷Ces deux mots seraient-ils synonymes ?
¹⁵⁸⁻²²La valeur, prise dans son aspect conceptuel, est sans doute un élément de la signification, et il est très difficile de savoir comment celle-ci s’en distingue tout en étant sous sa dépendance.
¹⁵⁸⁻²⁵Pourtant il est nécessaire de tirer au clair cette question, sous peine de réduire la langue à une simple nomenclature.
¹⁵⁸⁻²⁸Prenons d’abord la signification telle qu’on se la représente.
¹⁵⁸⁻³¹Elle n’est, comme l’indiquent les flèches de la figure, que la contre-partie de l’image auditive.
¹⁵⁸⁻³³Tout se passe entre l’image auditive et le concept, dans les limites du mot considéré comme un domaine fermé, existant pour lui-même.
¹⁵⁹⁻³Mais voici l’aspect paradoxal de la question : d’un côté, le concept nous apparaît comme la contre-partie de l’image auditive dans l’intérieur du signe, et, de l’autre, ce signe lui-même, c’est-à-dire le rapport qui relie ses deux éléments, est aussi, et tout autant la contre-partie des autres signes de la langue.
¹⁵⁹⁻⁹Puisque la langue est un système dont tous les termes sont solidaires et où la valeur de l’un ne résulte que de la présence simultanée des autres, selon le schéma : […]
comment se fait-il que la valeur, ainsi définie, se confonde avec la signification, c’est-à-dire avec la contre-partie de l’image auditive ?
¹⁵⁹⁻¹⁴Il semble impossible d’assimiler les rapports figurés ici par des flèches horizontales à ceux qui sont représentés plus haut par des flèches verticales.
¹⁵⁹⁻²²Pour répondre à cette question, constatons d’abord que même en dehors de la langue, toutes les valeurs semblent régies par ce principe paradoxal.
¹⁵⁹⁻²⁴Elles sont toujours constituées :
1º par une chose $${\textit{dissemblable}}$$ susceptible d’être $${\bm{échangée}}$$ contre celle dont la valeur est à déterminer ;
2º par des choses $${\textit{similaires}}$$ qu’on peut $${\textit{comparer}}$$ avec celle dont la valeur est en cause.
¹⁵⁹⁻³⁰Ces deux facteurs sont nécessaires pour l’existence d’une valeur.
¹⁵⁹⁻³¹Ainsi pour déterminer ce que vaut une pièce de cinq francs, il faut savoir : 1º qu’on peut l’échanger contre une quantité déterminée d’une chose différente, par exemple du pain ; 2º qu’on peut la comparer avec une valeur similaire du même système, par exemple une pièce d’un franc, ou avec une monnaie d’un autre système (un dollar, etc.).
¹⁶⁰⁻⁶De même un mot peut être échangé contre quelque chose de dissemblable : une idée ; en outre, il peut être comparé avec quelque chose de même nature : un autre mot.
¹⁶⁰⁻⁸Sa valeur n’est donc pas fixée tant qu’on se borne à constater qu’il peut être « échangé » contre tel ou tel concept, c’est-à-dire qu’il a telle ou telle signification ; il faut encore le comparer avec les valeurs similaires, avec les autres mots qui lui sont opposables.
¹⁶⁰⁻¹³Son contenu n’est vraiment déterminé que par le concours de ce qui existe en dehors de lui.
¹⁶⁰⁻¹⁴Faisant partie d’un système, il est revêtu, non seulement d’une signification, mais aussi et surtout d’une valeur, et c’est tout autre chose.
¹⁶⁰⁻¹⁷Quelques exemples montreront qu’il en est bien ainsi.
¹⁶⁰⁻¹⁷Le français $${\textit{mouton}}$$ peut avoir la même signification que l’anglais $${\textit{sheep,}}$$ mais non la même valeur, et cela pour plusieurs raisons, en particulier parce qu’en parlant d’une pièce de viande apprêtée et servie sur la table, l’anglais dit $${\textit{mutton}}$$ et non $${\textit{sheep.}}$$
¹⁶⁰⁻²²La différence de valeur entre $${\textit{sheep}}$$ et $${\textit{mouton}}$$ tient à ce que le premier a à côté de lui un second terme, ce qui n’est pas le cas pour le mot français.
¹⁶⁰⁻²⁵Dans l’intérieur d’une même langue, tous les mots qui expriment des idées voisines se limitent réciproquement : des synonymes comme $${\textit{redouter,}}$$$${\textit{craindre,}}$$$${\textit{avoir}}$$$${\textit{peur}}$$ n’ont de valeur propre que par leur opposition ; si $${\textit{redouter}}$$ n’existait pas, tout son contenu irait à ses concurrents.
¹⁶⁰⁻³³Ainsi la valeur de n’importe quel terme est déterminée par ce qui l’entoure ; il n’est pas jusqu’au mot signifiant « soleil » dont on puisse immédiatement fixer la valeur si l’on ne considère pas ce qu’il y a autour de lui ; il y a des langues où il est impossible de dire « s’asseoir au $${\textit{soleil}}$$ ».
¹⁶¹⁻⁴Ce qui est dit des mots s’applique à n’importe quel terme de la langue, par exemple aux entités grammaticales.
¹⁶¹⁻⁶Ainsi la valeur d’un pluriel français ne recouvre pas celle d’un pluriel sanscrit, bien que la signification soit le plus souvent identique : c’est que le sanscrit possède trois nombres au lieu de deux $${(\textit{mes}}$$$${\textit{yeux,}}$$$${\textit{mes}}$$$${\textit{oreilles,}}$$$${\textit{mes}}$$$${\textit{bras,}}$$$${\textit{mes}}$$$${\textit{jambes,}}$$etc., seraient au duel) ; […]
¹⁶¹⁻¹⁵Si les mots étaient chargés de représenter des concepts donnés d’avance, ils auraient chacun, d’une langue à l’autre, des correspondants exacts pour le sens ; or il n’en est pas ainsi.
¹⁶¹⁻¹⁸Le français dit indifféremment $${\textit{louer}}$$ $${(\textit{une}}$$ $${\textit{maison})}$$ pour « prendre à bail » et « donner à bail », là où l’allemand emploie deux termes : $${\textit{mieten}}$$ et $${\textit{vermieten}}$$ ; il n’y a donc pas correspondance exacte des valeurs.
Cours 原文 § 3.
§ 3. LA VALEUR LINGUISTIQUE CONSIDÉRÉE DANS SON ASPECT MATÉRIEL.
¹⁶³⁻³Si la partie conceptuelle de la valeur est constituée uniquement par des rapports et des différences avec les autres termes de la langue, on peut en dire autant de sa partie matérielle. ¹⁶³⁻⁶Ce qui importe dans le mot, ce n’est pas le son lui-même, mais les différences phoniques qui permettent de distinguer ce mot de tous les autres, car ce sont elles qui portent la signification.
[…] ¹⁶³⁻¹¹Puisqu’il n’y a point d’image vocale qui réponde plus qu’une autre à ce qu’elle est chargée de dire, il est évident, même $${\textit{a}}$$$${\textit{priori,}}$$ que jamais un fragment de langue ne pourra être fondé, en dernière analyse, sur autre chose que sur sa non-coïncidence avec le reste. ¹⁶³⁻¹⁶$${\textit{Arbitraire}}$$ et $${\textit{différentiel}}$$ sont deux qualités corrélatives. […]
¹⁶⁴⁻⁷D’ailleurs il est impossible que le son, élément matériel, appartienne par lui-même à la langue. ¹⁶⁴⁻⁸Il n’est pour elle qu’une chose secondaire, une matière qu’elle met en œuvre. […] ¹⁶⁴⁻¹²Ainsi ce n’est pas le métal d’une pièce de monnaie qui en fixe la valeur ; […] ¹⁶⁴⁻²⁹Les phonèmes sont avant tout des entités oppositives, relatives et négatives.
¹⁶⁴⁻³¹Ce qui le prouve, c’est la latitude dont les sujets jouissent pour la prononciation dans la limite où les sons restent distincts les uns des autres. ¹⁶⁴⁻³³Ainsi en français, l’usage général de grasseyer $${\text{l’}\textit{r}}$$ n’empêche pas beaucoup de personnes de le rouler ; la langue n’en est nullement troublée ; elle ne demande que la différence et n’exige pas, comme on pourrait l’imaginer, que le son ait une qualité invariable. […]
¹⁶⁵⁻¹³Comme on constate un état de choses identique dans cet autre système de signes qu’est l’écriture, nous le prendrons comme terme de comparaison pour éclairer toute cette question. ¹⁶⁵⁻¹⁶En fait :
¹⁶⁵⁻¹⁷1º les signes de l’écriture sont arbitraires ; aucun rapport, par exemple, entre la lettre $${\textit{t}}$$ et le son qu’elle désigne ;
¹⁶⁵⁻¹⁹2º la valeur des lettres est purement négative et différentielle ; ainsi une même personne peut écrire $${\textit{t}}$$ avec des variantes telles que :
¹⁶⁵⁻²²La seule chose essentielle est que ce signe ne se confonde pas sous sa plume avec celui de $${\textit{l,}}$$ de $${\textit{d,}}$$ etc. ;
¹⁶⁵⁻²⁴3º les valeurs de l’écriture n’agissent que par leur opposition réciproque au sein d’un système défini, composé d’un nombre déterminé de lettres. […]
¹⁶⁵⁻³¹4º le moyen de production du signe est totalement indifférent, car il n’intéresse pas le système (cela découle aussi du premier caractère). ¹⁶⁶⁻²Que j’écrive les lettres en blanc ou en noir, en creux ou en relief, avec une plume ou un ciseau, cela est sans importance pour leur signification.
註解 § 3.
¹⁶³⁻³Si la partie conceptuelle de la valeur est constituée uniquement par des rapports et des différences avec les autres termes de la langue, on peut en dire autant de sa partie matérielle.
¹⁶³⁻⁶Ce qui importe dans le mot, ce n’est pas le son lui-même, mais les différences phoniques qui permettent de distinguer ce mot de tous les autres, car ce sont elles qui portent la signification.
¹⁶³⁻¹¹Puisqu’il n’y a point d’image vocale qui réponde plus qu’une autre à ce qu’elle est chargée de dire, il est évident, même $${\textit{a}}$$$${\textit{priori,}}$$ que jamais un fragment de langue ne pourra être fondé, en dernière analyse, sur autre chose que sur sa non-coïncidence avec le reste.
¹⁶³⁻¹⁶$${\bm{Arbitraire}}$$ et $${\bm{différentiel}}$$ sont deux qualités corrélatives.
¹⁶⁴⁻⁷D’ailleurs il est impossible que le son, élément matériel, appartienne par lui-même à la langue.
¹⁶⁴⁻⁸Il n’est pour elle qu’une chose secondaire, une matière qu’elle met en œuvre.
¹⁶⁴⁻¹²Ainsi ce n’est pas le métal d’une pièce de monnaie qui en fixe la valeur ; […]
¹⁶⁴⁻²⁹Les phonèmes sont avant tout des entités oppositives, relatives et négatives.
¹⁶⁴⁻³¹Ce qui le prouve, c’est la latitude dont les sujets jouissent pour la prononciation dans la limite où les sons restent distincts les uns des autres.
¹⁶⁴⁻³³Ainsi en français, l’usage général de grasseyer $${\text{l’}\textit{r}}$$ n’empêche pas beaucoup de personnes de le rouler ; la langue n’en est nullement troublée ; elle ne demande que la différence et n’exige pas, comme on pourrait l’imaginer, que le son ait une qualité invariable.
¹⁶⁵⁻¹³Comme on constate un état de choses identique dans cet autre système de signes qu’est l’écriture, nous le prendrons comme terme de comparaison pour éclairer toute cette question.
¹⁶⁵⁻¹⁶En fait :
¹⁶⁵⁻¹⁷1º les signes de l’écriture sont arbitraires ; aucun rapport, par exemple, entre la lettre $${\textit{t}}$$ et le son qu’elle désigne ;
¹⁶⁵⁻¹⁹2º la valeur des lettres est purement négative et différentielle ; ainsi une même personne peut écrire $${\textit{t}}$$ avec des variantes telles que :
¹⁶⁵⁻²²La seule chose essentielle est que ce signe ne se confonde pas sous sa plume avec celui de $${\textit{l,}}$$ de $${\textit{d,}}$$ etc. ;
¹⁶⁵⁻²⁴3º les valeurs de l’écriture n’agissent que par leur opposition réciproque au sein d’un système défini, composé d’un nombre déterminé de lettres.
¹⁶⁵⁻³¹4º le moyen de production du signe est totalement indifférent, car il n’intéresse pas le système (cela découle aussi du premier caractère).
¹⁶⁶⁻²Que j’écrive les lettres en blanc ou en noir, en creux ou en relief, avec une plume ou un ciseau, cela est sans importance pour leur signification.
Cours 原文 § 4.
§ 4. LE SIGNE CONSIDÉRÉ DANS SA TOTALITÉ.
¹⁶⁶⁻⁶Tout ce qui précède revient à dire que $${\textit{dans}}$$$${\textit{la}}$$$${\textit{langue}}$$$${\textit{il}}$$$${\textit{n’y}}$$$${\textit{a}}$$$${\textit{que}}$$$${\textit{des}}$$$${\textit{différences.}}$$ ¹⁶⁶⁻⁷Bien plus : une différence suppose en général des termes positifs entre lesquels elle s’établit ; mais dans la langue il n’y a que des différences $${\textit{sans}}$$$${\textit{termes}}$$$${\textit{positifs.}}$$ ¹⁶⁶⁻¹¹Qu’on prenne le signifié ou le signifiant, la langue ne comporte ni des idées ni des sons qui préexisteraient au système linguistique, mais seulement des différences conceptuelles et des différences phoniques issues de ce système. […]
¹⁶⁶⁻²⁰Mais dire que tout est négatif dans la langue, cela n’est vrai que du signifié et du signifiant pris séparément : dès que l’on considère le signe dans sa totalité, on se trouve en présence d’une chose positive dans son ordre. […] ¹⁶⁶⁻³⁰Bien que le signifié et le signifiant soient, chacun pris à part, purement différentiels et négatifs, leur combinaison est un fait positif ; […]
¹⁶⁷⁻¹⁹Dès que l’on compare entre eux les signes — termes positifs — on ne peut plus parler de différence ; l’expression serait impropre, puisqu’elle ne s’applique bien qu’à la comparaison de deux images acoustiques, par exemple $${\textit{père}}$$ et $${\textit{mère,}}$$ ou à celle de deux idées, par exemple l’idée « père » et l’idée « mère » ; deux signes comportant chacun un signifié et un signifiant ne sont pas différents, ils sont seulement distincts. ¹⁶⁷⁻²⁶Entre eux il n’y a $${\text{qu’}\textit{opposition.}}$$ Tout le mécanisme du langage, dont il sera question plus bas, repose sur des oppositions de ce genre et sur les différences phoniques et conceptuelles qu’elles impliquent.
¹⁶⁷⁻³⁰Ce qui est vrai de la valeur est vrai aussi de l’unité. […]
¹⁶⁷⁻³⁴Appliqué à l’unité, le principe de différenciation peut se formuler ainsi : $${\textit{les}}$$$${\textit{caractères}}$$$${\textit{de}}$$$${\textit{l’unité}}$$$${\textit{se}}$$$${\textit{confondent}}$$$${\textit{avec}}$$$${\textit{l’unité}}$$$${\textit{elle-même.}}$$ ¹⁶⁸⁻²Dans la langue, comme dans tout système sémiologique, ce qui distingue un signe, voilà tout ce qui le constitue. ¹⁶⁸⁻⁴C’est la différence qui fait le caractère, comme elle fait la valeur et l’unité.
¹⁶⁸⁻⁶Autre conséquence, assez paradoxale, de ce même principe : ce qu’on appelle communément un « fait de grammaire » répond en dernière analyse à la définition de l’unité, car il exprime toujours une opposition de termes ; seulement cette opposition se trouve être particulièrement significative, par exemple la formation du pluriel allemand du type $${\textit{Nacht : Nächte.}}$$ ¹⁶⁸⁻¹²Chacun des termes mis en présence dans le fait grammatical (le singulier sans umlaut et sans $${\textit{e}}$$ final, opposé au pluriel avec umlaut et $${\textit{-e})}$$ est constitué lui-même par tout un jeu d’oppositions au sein du système ; pris isolément, ni $${\textit{Nacht}}$$ ni $${\textit{Nächte,}}$$ ne sont rien : donc tout est opposition. ¹⁶⁸⁻¹⁷Autrement dit, on peut exprimer le rapport $${\textit{Nacht : Nächte}}$$ par une formule algébrique $${\textit{a/b,}}$$ où $${\textit{a}}$$ et $${\textit{b}}$$ ne sont pas des termes simples, mais résultent chacun d’un ensemble de rapports. ¹⁶⁸⁻²⁰La langue est pour ainsi dire une algèbre qui n’aurait que des termes complexes. […] ¹⁶⁹⁻¹partout et toujours ce même équilibre complexe de termes qui se conditionnent réciproquement. ¹⁶⁹⁻³Autrement dit, $${\textit{la}}$$$${\textit{langue}}$$$${\textit{est}}$$$${\textit{une}}$$$${\textit{forme}}$$$${\textit{et}}$$$${\textit{non}}$$$${\textit{une}}$$$${\textit{substance.}}$$ […]
註解 § 4.
¹⁶⁶⁻⁶Tout ce qui précède revient à dire que $${\textit{dans}}$$$${\textit{la}}$$$${\textit{langue}}$$$${\textit{il}}$$$${\textit{n’y}}$$$${\textit{a}}$$$${\textit{que}}$$$${\textit{des}}$$$${\textit{différences.}}$$
¹⁶⁶⁻⁷Bien plus : une différence suppose en général des termes positifs entre lesquels elle s’établit ; mais dans la langue il n’y a que des différences $${\textit{sans}}$$$${\textit{termes}}$$$${\textit{positifs.}}$$
¹⁶⁶⁻¹¹Qu’on prenne le signifié ou le signifiant, la langue ne comporte ni des idées ni des sons qui préexisteraient au système linguistique, mais seulement des différences conceptuelles et des différences phoniques issues de ce système.
¹⁶⁶⁻²⁰Mais dire que tout est négatif dans la langue, cela n’est vrai que du signifié et du signifiant pris séparément : dès que l’on considère le signe dans sa totalité, on se trouve en présence d’une chose positive dans son ordre.
¹⁶⁶⁻³⁰Bien que le signifié et le signifiant soient, chacun pris à part, purement différentiels et négatifs, leur combinaison est un fait positif ; […]
¹⁶⁷⁻¹⁹Dès que l’on compare entre eux les signes — termes positifs — on ne peut plus parler de différence ; l’expression serait impropre, puisqu’elle ne s’applique bien qu’à la comparaison de deux images acoustiques, par exemple $${\textit{père}}$$ et $${\textit{mère,}}$$ ou à celle de deux idées, par exemple l’idée « père » et l’idée « mère » ; deux signes comportant chacun un signifié et un signifiant ne sont pas différents, ils sont seulement distincts.
¹⁶⁷⁻²⁶Entre eux il n’y a $${\text{qu’}\textit{opposition.}}$$
¹⁶⁷⁻²⁶Tout le mécanisme du langage, dont il sera question plus bas, repose sur des oppositions de ce genre et sur les différences phoniques et conceptuelles qu’elles impliquent.
¹⁶⁷⁻³⁰Ce qui est vrai de la valeur est vrai aussi de l’unité.
¹⁶⁷⁻³⁴Appliqué à l’unité, le principe de différenciation peut se formuler ainsi : $${\textit{les}}$$$${\textit{caractères}}$$$${\textit{de}}$$$${\textit{l’unité}}$$$${\textit{se}}$$$${\textit{confondent}}$$$${\textit{avec}}$$$${\textit{l’unité}}$$$${\textit{elle-même.}}$$
¹⁶⁸⁻²Dans la langue, comme dans tout système sémiologique, ce qui distingue un signe, voilà tout ce qui le constitue.
¹⁶⁸⁻⁴C’est la différence qui fait le caractère, comme elle fait la valeur et l’unité.
¹⁶⁸⁻⁶Autre conséquence, assez paradoxale, de ce même principe : ce qu’on appelle communément un « fait de grammaire » répond en dernière analyse à la définition de l’unité, car il exprime toujours une opposition de termes ; seulement cette opposition se trouve être particulièrement significative, par exemple la formation du pluriel allemand du type $${\textit{Nacht : Nächte.}}$$
¹⁶⁸⁻¹²Chacun des termes mis en présence dans le fait grammatical (le singulier sans umlaut et sans $${\textit{e}}$$ final, opposé au pluriel avec umlaut et $${\textit{-e})}$$ est constitué lui-même par tout un jeu d’oppositions au sein du système ; pris isolément, ni $${\textit{Nacht}}$$ ni $${\textit{Nächte,}}$$ ne sont rien : donc tout est opposition.
¹⁶⁸⁻¹⁷Autrement dit, on peut exprimer le rapport $${\textit{Nacht : Nächte}}$$ par une formule algébrique $${\textit{a/b,}}$$ où $${\textit{a}}$$ et $${\textit{b}}$$ ne sont pas des termes simples, mais résultent chacun d’un ensemble de rapports.
¹⁶⁸⁻²⁰La langue est pour ainsi dire une algèbre qui n’aurait que des termes complexes.
¹⁶⁹⁻¹partout et toujours ce même équilibre complexe de termes qui se conditionnent réciproquement.
¹⁶⁹⁻³Autrement dit, $${\textit{la}}$$$${\textit{langue}}$$$${\textit{est}}$$$${\textit{une}}$$$${\textit{forme}}$$$${\textit{et}}$$$${\textit{non}}$$$${\textit{une}}$$$${\textit{substance.}}$$
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