ソシュール『一般言語学講義』註解 #28
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原著: pp. 270-280
小林訳: pp. 278-287
菅田訳: pp. 188-197
町田訳: pp. 276-285
各文の頭についている上付きの数字は、原著の「ページ数-行数」を示しています。
Cours 原文 § 1.
CHAPITRE III
CAUSES DE LA DIVERSITÉ GÉOGRAPHIQUE
§ 1. LE TEMPS, CAUSE ESSENTIELLE.
[…] ²⁷⁰⁻¹¹Pour bien comprendre comment les choses se passent, imaginons des conditions théoriques aussi simples que possible, permettant de dégager la cause essentielle de la différenciation dans l’espace, et demandons-nous ce qui se passerait si une langue parlée sur un point nettement délimité — une petite île, par exemple — était transportée par des colons sur un autre point, également délimité, par exemple une autre île. ²⁷⁰⁻¹⁸Au bout d’un certain temps, on verra surgir entre la langue du premier foyer (F) et celle du second (F′) des différences variées, portant sur le vocabulaire, la grammaire, la prononciation, etc.
²⁷⁰⁻²²Il ne faut pas s’imaginer que l’idiome transplanté se modifiera seul, tandis que l’idiome originaire demeurera immobile ; l’inverse ne se produit pas non plus d’une façon absolue ; une innovation peut naître d’un côté, ou de l’autre, ou des deux à la fois. […] ²⁷¹⁻⁴L’étude ne peut donc pas être unilatérale ; les innovations des deux langues ont une égale importance.
²⁷¹⁻⁶Qu’est-ce qui a créé ces différences ? Quand on croit que c’est l’espace seul, on est victime d’une illusion. ²⁷¹⁻⁷Livré à lui-même, il ne peut exercer aucune action sur la langue. ²⁷¹⁻⁹Au lendemain de leur débarquement en F′, les colons partis de F parlaient exactement la même langue que la veille. ²⁷¹⁻¹¹On oublie le facteur temps, parce qu’il est moins concret que l’espace ; mais en réalité, c’est de lui que relève la différenciation linguistique. ²⁷¹⁻¹³La diversité géographique doit être traduite en diversité temporelle.
²⁷¹⁻¹⁵Soient deux caractères différentiels $${b}$$ et $${c}$$ ; on n’a jamais passé du premier au second ni du second au premier ; pour trouver le passage de l’unité à la diversité, il faut remonter au primitif $${a,}$$ auquel $${b}$$ et $${c}$$ se sont substitués ; c’est lui qui a fait place aux formes postérieures ; d’où le schéma de différenciation géographique, valable pour tous les cas analogues :
²⁷¹⁻²²La séparation des deux idiomes est la forme tangible du phénomène, mais ne l’explique pas. ²⁷¹⁻²³Sans doute, ce fait linguistique ne se serait pas différencié sans la diversité des lieux, si minime soit-elle ; mais à lui seul, l’éloignement ne crée pas les différences. ²⁷²⁻³De même qu’on ne peut juger d’un volume par une surface, mais seulement à l’aide d’une troisième dimension, la profondeur, de même le schéma de la différence géographique n’est complet que projeté dans le temps.
[…] ²⁷²⁻²¹Mais $${\textit{le}}$$ $${\textit{changement}}$$ $${\textit{même,}}$$ abstraction faite de sa direction spéciale et de ses manifestations particulières, en un mot l’instabilité de la langue, relève du temps seul. ²⁷²⁻²⁴La diversité géographique est donc un aspect secondaire du phénomène général. […]
註解 § 1.
²⁷⁰⁻¹¹Pour bien comprendre comment les choses se passent, imaginons des conditions théoriques aussi simples que possible, permettant de dégager la cause essentielle de la différenciation dans l’espace, et demandons-nous ce qui se passerait si une langue parlée sur un point nettement délimité — une petite île, par exemple — était transportée par des colons sur un autre point, également délimité, par exemple une autre île.
²⁷⁰⁻¹⁸Au bout d’un certain temps, on verra surgir entre la langue du premier foyer (F) et celle du second (F′) des différences variées, portant sur le vocabulaire, la grammaire, la prononciation, etc.
²⁷⁰⁻²²Il ne faut pas s’imaginer que l’idiome transplanté se modifiera seul, tandis que l’idiome originaire demeurera immobile ; l’inverse ne se produit pas non plus d’une façon absolue ; une innovation peut naître d’un côté, ou de l’autre, ou des deux à la fois.
²⁷¹⁻⁴L’étude ne peut donc pas être unilatérale ; les innovations des deux langues ont une égale importance.
²⁷¹⁻⁶Qu’est-ce qui a créé ces différences ? Quand on croit que c’est l’espace seul, on est victime d’une illusion.
²⁷¹⁻⁷Livré à lui-même, il ne peut exercer aucune action sur la langue.
²⁷¹⁻⁹Au lendemain de leur débarquement en F′, les colons partis de F parlaient exactement la même langue que la veille.
²⁷¹⁻¹¹On oublie le facteur temps, parce qu’il est moins concret que l’espace ; mais en réalité, c’est de lui que relève la différenciation linguistique.
²⁷¹⁻¹³La diversité géographique doit être traduite en diversité temporelle.
²⁷¹⁻¹⁵Soient deux caractères différentiels $${b}$$ et $${c}$$ ; on n’a jamais passé du premier au second ni du second au premier ; pour trouver le passage de l’unité à la diversité, il faut remonter au primitif $${a,}$$ auquel $${b}$$ et $${c}$$ se sont substitués ; c’est lui qui a fait place aux formes postérieures ; d’où le schéma de différenciation géographique, valable pour tous les cas analogues :
²⁷¹⁻²²La séparation des deux idiomes est la forme tangible du phénomène, mais ne l’explique pas.
²⁷¹⁻²³Sans doute, ce fait linguistique ne se serait pas différencié sans la diversité des lieux, si minime soit-elle ; mais à lui seul, l’éloignement ne crée pas les différences.
²⁷²⁻³De même qu’on ne peut juger d’un volume par une surface, mais seulement à l’aide d’une troisième dimension, la profondeur, de même le schéma de la différence géographique n’est complet que projeté dans le temps.
²⁷²⁻²¹Mais $${\textit{le}}$$ $${\textit{changement}}$$ $${\textit{même,}}$$ abstraction faite de sa direction spéciale et de ses manifestations particulières, en un mot l’instabilité de la langue, relève du temps seul.
²⁷²⁻²⁴La diversité géographique est donc un aspect secondaire du phénomène général.
Cours 原文 § 2.
§ 2. ACTION DU TEMPS SUR UN TERRITOIRE CONTINU.
²⁷²⁻³⁰Soit maintenant un pays unilingue, c’est-à-dire où l’on parle uniformément la même langue et dont la population est fixe, par exemple la Gaule vers 450 après J.-C., où le latin était partout solidement établi. ²⁷²⁻³³Que va-t-il se passer ?
²⁷³⁻¹1º L’immobilité absolue n’existant pas en matière de langage, au bout d’un certain laps de temps la langue ne sera plus identique à elle-même.
²⁷³⁻⁴2º L’évolution ne sera pas uniforme sur toute la surface du territoire, mais variera suivant les lieux ; on n’a jamais constaté qu’une langue change de la même façon sur la totalité de son domaine. ²⁷³⁻⁷Donc ce n’est pas le schéma :
mais bien le schéma :
qui figure la réalité.
²⁷³⁻¹⁰Comment débute et se dessine la diversité qui aboutira à la création des formes dialectales de toute nature ? ²⁷³⁻¹¹La chose est moins simple qu’elle ne le paraît au premier abord. […] ²⁷⁴⁻⁵Ce que nous disons ci-après des changements phonétiques doit s’entendre de n’importe quelle innovation. ²⁷⁴⁻⁷Si par exemple une partie du territoire est affectée du changement de $${a}$$ en $${e}$$ :
il se peut qu’un changement de $${s}$$ en $${z}$$ se produise sur ce même territoire, mais dans d’autres limites :
et c’est l’existence de ces aires distinctes qui explique la diversité des parlers sur tous les points du domaine d’une langue, quand elle est abandonnée à son évolution naturelle. […] ²⁷⁴⁻¹⁸Leur configuration est parfois paradoxale ; ainsi $${c}$$ et $${g}$$ latins devant $${a}$$ se sont changés en $${\textit{tš,}}$$ $${dž,}$$ puis $${š,}$$ $${ž}$$ (cf. $${\textit{cantum}}$$ → $${\textit{chant,}}$$ $${\textit{virga}}$$ → $${\textit{verge}\text{),}}$$ dans tout le nord de la France sauf en Picardie et dans une partie de la Normandie, où $${c,}$$ $${g}$$ sont restés intacts (cf. picard $${\textit{cat}}$$ pour $${\textit{chat,}}$$ $${\textit{rescapé}}$$ pour $${\textit{réchappé,}}$$ qui a passé récemment en français, $${\textit{vergue}}$$ de $${\textit{virga}}$$ cité plus haut, etc.).
²⁷⁵⁻¹Que doit-il résulter de l’ensemble de ces phénomènes ? ²⁷⁵⁻²Si à un moment donné une même langue règne sur toute l’étendue d’un territoire, au bout de cinq ou dix siècles les habitants de deux points extrêmes ne s’entendront probablement plus ; en revanche ceux d’un point quelconque continueront à comprendre le parler des régions avoisinantes. […]
註解 § 2.
²⁷²⁻³⁰Soit maintenant un pays unilingue, c’est-à-dire où l’on parle uniformément la même langue et dont la population est fixe, par exemple la Gaule vers 450 après J.-C., où le latin était partout solidement établi. ²⁷²⁻³³Que va-t-il se passer ?
²⁷³⁻¹1º L’immobilité absolue n’existant pas en matière de langage, au bout d’un certain laps de temps la langue ne sera plus identique à elle-même.
²⁷³⁻⁴2º L’évolution ne sera pas uniforme sur toute la surface du territoire, mais variera suivant les lieux ; on n’a jamais constaté qu’une langue change de la même façon sur la totalité de son domaine.
²⁷³⁻⁷Donc ce n’est pas le schéma :
mais bien le schéma :
qui figure la réalité.
²⁷³⁻¹⁰Comment débute et se dessine la diversité qui aboutira à la création des formes dialectales de toute nature ?
²⁷³⁻¹¹La chose est moins simple qu’elle ne le paraît au premier abord.
²⁷⁴⁻⁵Ce que nous disons ci-après des changements phonétiques doit s’entendre de n’importe quelle innovation.
²⁷⁴⁻⁷Si par exemple une partie du territoire est affectée du changement de $${a}$$ en $${e}$$ :
il se peut qu’un changement de $${s}$$ en $${z}$$ se produise sur ce même territoire, mais dans d’autres limites :
et c’est l’existence de ces aires distinctes qui explique la diversité des parlers sur tous les points du domaine d’une langue, quand elle est abandonnée à son évolution naturelle.
²⁷⁴⁻¹⁸Leur configuration est parfois paradoxale ; ainsi $${c}$$ et $${g}$$ latins devant $${a}$$ se sont changés en $${\textit{tš,}}$$ $${dž,}$$ puis $${š,}$$ $${ž}$$ (cf. $${\textit{cantum}}$$ → $${\textit{chant,}}$$ $${\textit{virga}}$$ → $${\textit{verge}\text{),}}$$ dans tout le nord de la France sauf en Picardie et dans une partie de la Normandie, où $${c,}$$ $${g}$$ sont restés intacts (cf. picard $${\textit{cat}}$$ pour $${\textit{chat,}}$$ $${\textit{rescapé}}$$ pour $${\textit{réchappé,}}$$ qui a passé récemment en français, $${\textit{vergue}}$$ de $${\textit{virga}}$$ cité plus haut, etc.).
²⁷⁵⁻¹Que doit-il résulter de l’ensemble de ces phénomènes ?
²⁷⁵⁻²Si à un moment donné une même langue règne sur toute l’étendue d’un territoire, au bout de cinq ou dix siècles les habitants de deux points extrêmes ne s’entendront probablement plus ; en revanche ceux d’un point quelconque continueront à comprendre le parler des régions avoisinantes.
Cours 原文 § 3.
§ 3. LES DIALECTES N’ONT PAS DE LIMITES NATURELLES.
²⁷⁵⁻²⁹L’idée qu’on se fait couramment des dialectes est tout autre. ²⁷⁵⁻³⁰On se les représente comme des types linguistiques parfaitement déterminés, circonscrits dans tous les sens et couvrant sur la carte des territoires juxtaposés et distincts $${\text{(}a,}$$ $${b,}$$ $${c,}$$ $${d,}$$ etc.).
²⁷⁶⁻¹Mais les transformations dialectales naturelles aboutissent à un résultat tout différent. ²⁷⁶⁻²Dès qu’on s’est mis à étudier chaque phénomène en lui-même et à déterminer son aire d’extension, il a bien fallu substituer à l’ancienne notion une autre, qu’on peut définir comme suit : il n’y a que des caractères dialectaux naturels, il n’y a pas de dialectes naturels ; ou, ce qui revient au même : il y a autant de dialectes que de lieux. […]
²⁷⁶⁻²²La recherche des caractères dialectaux a été le point de départ des travaux de cartographie linguistique, dont le modèle est $${\text{l’}\textit{Atlas}}$$ $${\textit{linguistique}}$$ $${\textit{de}}$$ $${\textit{la}}$$ $${\textit{France,}}$$ par Gilliéron ; il faut citer aussi celui de l’Allemagne par Wenker. […]
²⁷⁷⁻¹⁴On a appelé « lignes isoglosses » ou « d’isoglosses » les frontières des caractères dialectaux ; ce terme a été formé sur le modèle $${\text{d’}\textit{isotherme ;}}$$ mais il est obscur et impropre, car il veut dire « qui a la même langue » ; […] ²⁷⁷⁻²⁰nous préférons encore dire : $${\textit{ondes}}$$ $${\textit{d’innovation}}$$ en reprenant une image qui remonte à J. Schmidt et que le chapitre suivant justifiera.
²⁷⁷⁻²³Quand on jette les yeux sur une carte linguistique, on voit quelquefois deux ou trois de ces ondes coïncider à peu près, se confondre même sur un certain parcours :
²⁷⁷⁻²⁶Il est évident que deux points A et B, séparés par une zone de ce genre, présentent une certaine somme de divergences et constituent deux parlers assez nettement différenciés. […]
註解 § 3.
²⁷⁵⁻²⁹L’idée qu’on se fait couramment des dialectes est tout autre.
²⁷⁵⁻³⁰On se les représente comme des types linguistiques parfaitement déterminés, circonscrits dans tous les sens et couvrant sur la carte des territoires juxtaposés et distincts $${\text{(}a,}$$ $${b,}$$ $${c,}$$ $${d,}$$ etc.).
²⁷⁶⁻¹Mais les transformations dialectales naturelles aboutissent à un résultat tout différent.
²⁷⁶⁻²Dès qu’on s’est mis à étudier chaque phénomène en lui-même et à déterminer son aire d’extension, il a bien fallu substituer à l’ancienne notion une autre, qu’on peut définir comme suit : il n’y a que des caractères dialectaux naturels, il n’y a pas de dialectes naturels ; ou, ce qui revient au même : il y a autant de dialectes que de lieux.
²⁷⁶⁻²²La recherche des caractères dialectaux a été le point de départ des travaux de cartographie linguistique, dont le modèle est $${\text{l’}\textit{Atlas}}$$ $${\textit{linguistique}}$$ $${\textit{de}}$$ $${\textit{la}}$$ $${\textit{France,}}$$ par Gilliéron ; il faut citer aussi celui de l’Allemagne par Wenker.
²⁷⁷⁻¹⁴On a appelé « lignes isoglosses » ou « d’isoglosses » les frontières des caractères dialectaux ; ce terme a été formé sur le modèle $${\bold{d’}\textit{isotherme ;}}$$ mais il est obscur et impropre, car il veut dire « qui a la même langue » ; […]
²⁷⁷⁻²⁰nous préférons encore dire : $${\textit{ondes}}$$ $${\textit{d’innovation}}$$ en reprenant une image qui remonte à J. Schmidt et que le chapitre suivant justifiera.
²⁷⁷⁻²³Quand on jette les yeux sur une carte linguistique, on voit quelquefois deux ou trois de ces ondes coïncider à peu près, se confondre même sur un certain parcours :
²⁷⁷⁻²⁶Il est évident que deux points A et B, séparés par une zone de ce genre, présentent une certaine somme de divergences et constituent deux parlers assez nettement différenciés.
Cours 原文 § 4.
§ 4. LES LANGUES N’ONT PAS DE LIMITES NATURELLES.
[…] ²⁷⁹⁻¹⁰Comment d’ailleurs se représenter, sous une forme ou une autre, une limite linguistique précise sur un territoire couvert d’un bout à l’autre de dialectes graduellement différenciés ? ²⁷⁹⁻¹³Les délimitations des langues s’y trouvent noyées, comme celles des dialectes, dans les transitions. ²⁷⁹⁻¹⁵De même que les dialectes ne sont que des subdivisions arbitraires de la surface totale de la langue, de même la limite qui est censée séparer deux langues ne peut être que conventionnelle.
[…] ²⁸⁰⁻⁵Et cependant, dès que nous considérons une frontière entre deux groupes d’idiomes, par exemple la frontière germano-slave, il y a un saut brusque, sans aucune transition ; les deux idiomes se heurtent au lieu de se fondre l’un dans l’autre. ²⁸⁰⁻⁹C’est que les dialectes intermédiaires ont disparu. […]
註解 § 4.
²⁷⁹⁻¹⁰Comment d’ailleurs se représenter, sous une forme ou une autre, une limite linguistique précise sur un territoire couvert d’un bout à l’autre de dialectes graduellement différenciés ?
²⁷⁹⁻¹³Les délimitations des langues s’y trouvent noyées, comme celles des dialectes, dans les transitions.
²⁷⁹⁻¹⁵De même que les dialectes ne sont que des subdivisions arbitraires de la surface totale de la langue, de même la limite qui est censée séparer deux langues ne peut être que conventionnelle.
²⁸⁰⁻⁵Et cependant, dès que nous considérons une frontière entre deux groupes d’idiomes, par exemple la frontière germano-slave, il y a un saut brusque, sans aucune transition ; les deux idiomes se heurtent au lieu de se fondre l’un dans l’autre.
²⁸⁰⁻⁹C’est que les dialectes intermédiaires ont disparu.
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