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#5 Shimakutuba ou les marges de la langue japonaise

Connaissez-vous Okinawa ? Cette région au sud du Japon est surtout réputée pour ses plages paradisiaques et le fameux « régime d’Okinawa », supposé faire des miracles pour allonger l’espérance de vie. J’ai envie de vous emmener au-delà de ces clichés. Je m’appelle Clément Dupuis et dans ce podcast, je vais vous faire découvrir l’histoire et la culture de ce territoire à la croisée des influences japonaises, chinoises et américaines. Bienvenue dans « Fascinant Okinawa ».

Épisode 5 : Shimakutuba ou les marges de la langue japonaise

Haisai gusūyō ! Chā ganjū yaibītanna ? Bonjour, tout le monde ! Comment allez-vous ? Vous l’aurez peut-être deviné avec cette introduction, nous allons parler des langues ryūkyū. Elles sont aussi appelées shimakutuba, « la langue de l’île ». Nous avons commencé à en parler dans l’épisode précédent, qui explorait l’histoire d’Okinawa pendant la première moitié du XXe siècle. Nous avons vu que l’apprentissage du japonais standard a été l’un des principaux vecteurs de l’assimilation d’Okinawa au Japon. Aujourd’hui, nous allons nous pencher de manière plus approfondie sur ces langues ryūkyū. En quoi sont-elles différentes du japonais standard ? Quels facteurs ont favorisé leur déclin tout au long du XXe siècle ? Y a-t-il des initiatives aujourd’hui pour les préserver ? C’est à toutes ces questions que nous allons tenter de répondre dans ce nouvel épisode consacré à la culture okinawaïenne.

Et pour nous accompagner, j’ai eu la chance d’échanger avec Thomas Pellard. Thomas est chercheur en linguistique au CNRS et professeur à l’Inalco. Il est spécialiste des langues ryūkyū. Je le remercie pour sa disponibilité.

Commençons par le commencement. Quand on dit « langues ryūkyū », de quoi parle-t-on exactement ? Pourquoi les « langues » au pluriel ? Si vous discutez avec un Japonais de langues ryūkyū, il vous citera probablement spontanément l’okinawaïen, aussi appelé uchinaaguchi (ou langue d’Okinawa). En réalité, le paysage linguistique est beaucoup plus varié que ça. En plus de l’okinawaïen, parlé sur les îles d’Okinawa, on trouve l’amami, parlé dans les îles Amami, au nord. Au sud, on a ensuite le miyako, parlé sur l’archipel de Miyako, puis le yaeyama, parlé sur l’archipel de Yaeyama, et enfin le yonaguni, parlé sur l’île de Yonaguni à l’extrême sud-ouest du Japon. Et ça, c’est sans compter toutes les sous-variantes de ces langues.

Qu’il y en ait autant sur un territoire si réduit n’est pas complètement surprenant. L’archipel des Ryūkyū s’étend sur plus de 1 000 kilomètres, avec plusieurs groupes d’îles parfois séparés par des centaines de kilomètres. Si on prend en compte cet isolement géographique et le fait que les habitants n’avaient virtuellement pas de contact les uns avec les autres jusqu’à récemment, cela paraît assez naturel que des langues différentes apparaissent.

Depuis le début de cet épisode, j’ai parlé de « langues ryūkyū », mais je mettrais ma main à couper qu’un Japonais n’emploierait jamais ce mot dans une conversation. Non, le terme qu’il utiliserait serait très certainement « dialecte » (hōgen en japonais). Mais est-ce que les langues ryūkyū sont vraiment des dialectes du japonais ? C’est ce que j’ai demandé à Thomas Pellard.

Dans les îles Ryūkyū, on parle des langues différentes du japonais, mais qui y ressemblent beaucoup néanmoins. C'est un petit peu comme les langues romanes, comme le français, l'italien, l'espagnol. Ce sont des langues qui sont proches, donc on peut voir tout de suite qu'elles sont apparentées, mais qui sont néanmoins très différentes du japonais, puisqu'elles se sont séparées il y a de nombreux siècles. Ces parlers étaient traditionnellement, jusqu'à il y a peu, et encore chez beaucoup de gens, considérés comme des dialectes du japonais, un petit peu comme les dialectes qu'on a sur l'archipel principal, qui peuvent eux aussi être assez différents du japonais. Ces parlers sont beaucoup plus différents du japonais que n'importe quel autre dialecte parlé sur l'archipel principal, ils ont beaucoup de spécificités.

On a peu de critères objectifs pour dire si ce sont deux dialectes de la même langue ou deux langues différentes. Il y a souvent des critères historiques et politiques qui entrent en jeu. Il y a des pays où on parle entre guillemets la même langue, mais comme il s'agit de pays différents on va dire qu'il s'agit de langues différentes, et à l'inverse, il y a beaucoup de pays où on parle beaucoup de langues très différentes, mais comme il s'agit de langues apparentées à l'intérieur d'un même pays, on va considérer que ce sont des dialectes. Mais le critère qu'on utilise en général en linguistique, c'est le critère d'intelligibilité mutuelle ou d'intercompréhension, c'est-à-dire si on met deux personnes face à face et qu'on leur demande de discuter dans leur parler maternel, est-ce qu'elles arrivent à se comprendre ? Et dans le cas des parlers des Ryūkyū, ce n'est clairement pas du tout intercompréhensible avec le japonais standard, mais ce n'est pas du tout non plus intercompréhensible avec les dialectes, même les plus proches géographiquement. Donc on a une rupture claire de la chaîne d’intercompréhension entre le sud de Kyūshū et le nord des îles Ryūkyū.

Il faut savoir que traditionnellement, ces parlers étaient considérés comme des dialectes, des variantes régionales du japonais, mais ça n'a pas toujours été le cas. C'est associé vraiment à des facteurs historiques et politiques puisque c'était encore, à l'époque Meiji, un royaume qui avait eu son indépendance, on en avait encore le souvenir, donc pour beaucoup de gens c'était une langue différente. Le temps a passé, évidemment l'idéologie nationaliste est passée par là aussi, et donc on a considéré qu'il s'agissait d'un État avec un peuple et une langue, le japonais, et qu'il s'agissait uniquement de variantes régionales du japonais.

Pour se rendre un peu plus compte à quel point les langues ryūkyū sont différentes du japonais standard, j’ai demandé à Thomas Pellard de me donner quelques exemples.

Les langues ryūkyū sont très différentes du japonais sur de nombreux plans, que ce soit la phonologie, c'est-à-dire la prononciation, le lexique, le vocabulaire, les mots qu'on emploie et la grammaire, la manière de combiner les mots pour faire des phrases, la conjugaison des verbes aussi.

En japonais standard, vous avez cinq voyelles : A, I, U, E, O. Dans les langues ryūkyū, on va trouver des systèmes de voyelles très différents, avec plus de voyelles, avec moins de voyelles. Il y a une voyelle amusante qu'on retrouve dans les langues du sud des Ryūkyū, c'est une espèce de ... ça ressemble à un Z si vous voulez, mais ça fonctionne comme une voyelle dans cette langue. Et ça, ce n'est pas du tout quelque chose qui existe en japonais de Tokyo, en tout cas. On va trouver aussi des consonnes qui n'existent pas en japonais. On va trouver des structures syllabiques qui n'existent pas en japonais. Le japonais est assez célèbre pour avoir une structure de syllabes assez simple, donc vous n'avez pas des suites de consonnes en japonais, vous n'avez pas des syllabes qui se terminent par des consonnes. Si vous prenez un locuteur japonais et que vous lui demandez de prononcer des mots comme « prêtre » ou « être », c'est très compliqué pour lui. Eh bien dans les langues ryūkyū, on va trouver des langues où on a beaucoup plus de consonnes et des syllabes qui se terminent par des consonnes.

On peut même avoir des mots composés uniquement de consonnes, ce qui paraît complètement fou quand on est habitué au japonais. Si vous prenez le mot pour la lune, en japonais standard, ça se dit « tsuki ». Et le mot apparenté dans la langue que j'ai étudié lors de mon doctorat, qui est une petite île de l'archipel de Miyako qui s'appelle Oogami, eh bien, si vous allez à Oogami et que vous demandez aux gens comment vous dites « lune » dans votre langue, ils vont vous répondre « ksks », sans aucune voyelle. Donc, si on le transcrit, c'est « k s k s ». Et c'est apparenté au japonais « tsuki ». Alors, à première vue, ce n'est pas évident, mais si on fait l'évolution historique de ces langues, on peut reconstituer les changements qui se sont produits. Donc, c'est un mot sans aucune voyelle et sans aucun son voisé non plus, ce qui est très rare dans les langues du monde. Les sons voisés, c'est les consonnes comme par exemple « me », « le », etc., qui font vibrer le larynx. On connaît peu d'exemples. Il y a certaines variétés de berbère marocain, certaines langues amérindiennes de la côte nord-ouest pacifique et donc l’oogami. Donc, ça fait peu d'exemples, donc c'est tout à fait remarquable.

Tout ça est très différent et le vocabulaire aussi est différent. Si on prend une liste typique que dressent les linguistes pour commencer à étudier les langues, qu'on appelle le vocabulaire de base, qui sont des mots à peu près stables et qui existent dans toutes les langues, par exemple le ciel, la terre, le soleil, la lune, manger, mourir, tuer, courir, des mots comme ça, on va trouver beaucoup de différences. Les mots qui sont apparentés à cause des changements phonétiques qui se sont produits au cours des siècles n'ont plus du tout la même tête parfois. Vous prenez n'importe quelle langue ryūkyū et le japonais, vous avez à peu près au maximum 70% de ce vocabulaire de base qui est commun uniquement. Alors que c'est plus de 80% entre n'importe quel dialecte japonais.

Il est difficile d’estimer le nombre de locuteurs des langues ryūkyū aujourd’hui. D’abord parce qu’il varie en fonction des langues : certaines sont parlées dans une seule île, d’autres dans plusieurs. Ensuite parce qu’il n’y a pas de recensement officiel. On peut faire des approximations en partant du nombre d’habitants, mais le facteur migratoire fausse la donne dans les deux sens. Des locuteurs ont pu déménager en métropole et des métropolitains qui ne sont pas des locuteurs ont pu emménager à Okinawa. Thomas Pellard estime le nombre de ces locuteurs entre quelques centaines pour les moins parlées et quelques milliers pour les plus parlées.

Quand on pense que la population totale de la préfecture d’Okinawa est d’un million et demi d’habitants, cela paraît peu. Et la situation devient encore plus inquiétante quand on regarde le profil de ces locuteurs. La majorité a plus de 60 ans, voire même plus de 80 ans. Les langues ryūkyū ne sont pas enseignées à l’école et les jeunes générations sont quasi exclusivement monolingues, c’est-à-dire qu’elles ne parlent plus que le japonais standard. En clair, la transmission intergénérationnelle est rompue et les langues ryūkyū sont en voie de disparition. Comment en est-on arrivé là ?

Comme nous l’a expliqué Thomas Pellard, les rapports entre les langues ne sont pas neutres. Il y a souvent des considérations politiques qui entrent en jeu. La langue est un vecteur d’unité nationale. Les variantes de la langue standard constituent des obstacles au caractère homogène du pays.
Quand Okinawa devient une préfecture japonaise en 1879, le fait que les habitants parlent une autre langue que le japonais est perçu comme problématique. Le gouvernement multiplie les initiatives pour diffuser l’utilisation du japonais standard dans l’espace public okinawaïen. L’école, en particulier, est jugée comme l’endroit où tout se joue. En obligeant les enfants à parler japonais et à abandonner leur langue maternelle, on construit de futurs citoyens plus patriotiques que leurs parents. Les adultes sont aussi étroitement surveillés. Ils se voient refuser le service dans les institutions publiques comme la mairie ou le bureau de poste s’ils s’adressent au personnel dans une langue ryūkyū. En résumé, dès les années 1920 et 1930, les langues ryūkyū sont largement marginalisées.

La deuxième phase de déclin des langues ryūkyū commence après la Seconde Guerre mondiale, et elle va être décisive. En effet, on estime que c’est à partir des années 1950 que la chaîne de transmission intergénérationnelle naturelle de ces langues a été définitivement rompue. C’est-à-dire qu’à partir de ce moment-là, les enfants n’apprennent plus la langue maternelle de leurs parents au sein de leur cercle familial et dans leur vie de tous les jours.
Beaucoup de facteurs entrent en jeu et ce n’est pas toujours facile de déceler celui ou ceux qui ont eu le plus d’importance. On peut quand même citer deux tendances majeures. La première, c’est la grande pauvreté qui s’est abattue sur la région suite à la bataille d’Okinawa. Sans ressources et sans perspectives d’avenir, de nombreux habitants ont tout simplement décidé de quitter l’archipel. Une fois débarqués en métropole ou à l’étranger, par exemple en Amérique du Sud, ils n’avaient plus intérêt à parler leur langue maternelle. Eux, et leurs enfants, ont cherché avant tout à s’intégrer à leur nouvel environnement. Cette assimilation est passée par la pratique du japonais standard ou de la langue de leur pays d’adoption.

L’autre tendance est assez paradoxale, car au premier abord on aurait pu penser qu’elle aurait permis de protéger les langues ryūkyū. Mais c’est finalement l’inverse qui s’est produit. Vous allez comprendre pourquoi. Quand l’occupation américaine d’Okinawa commence, en 1945, les autorités d’occupation lancent un vaste chantier de promotion de ce qu’on pourrait appeler le « nationalisme ryūkyū ». En particulier, elles cherchent à mettre en avant l’histoire d’Okinawa avant son intégration au Japon. C’est comme ça que la nouvelle université, fondée en 1951, est baptisée « Université des Ryūkyū » au lieu d’« Université d’Okinawa ».

Des efforts de planification linguistique visent aussi à faire de l’okinawaïen et de l’anglais les langues officielles d’Okinawa, au détriment du japonais standard. Mais tous ces efforts ne sont pas au goût des Okinawaïens. La promotion du nationalisme ryūkyū est rapidement perçue comme un stratagème visant à légitimer une occupation durable d’Okinawa. De fait, cette occupation va se poursuivre jusqu’en 1972, soit 20 ans de plus que la métropole. Or, dès les premières années de l’occupation, la population souffre de l’impact important des bases militaires américaines. La confiscation des terres et la pollution, pour ne citer que ces problèmes, sont de plus en plus associées à l’occupation américaine.

Beaucoup d’Okinawaïens souhaitent alors un retour dans le giron japonais, parce qu’ils espèrent que ça règlera le problème. Et une façon de prouver leur japonité, à la fois vis-à-vis du gouvernement japonais à Tokyo et des occupants américains, c’est d’abandonner définitivement les langues ryūkyū au profit du japonais standard.

Le résultat, on le voit aujourd’hui. Seules les personnes âgées, voire très âgées, parlent encore une langue ryūkyū. Par définition, leur nombre diminue d’année en année. J’ai demandé à Thomas Pellard s’il existait des initiatives pour tenter de préserver ces langues et s’il était optimiste pour l’avenir.

Les langues ryūkyū sont en grave danger d'extinction, elles sont même en voie de disparition, puisque pendant longtemps elles ont été stigmatisées. C'est un peu toujours le cas dans les médias aujourd'hui. En gros, les langues régionales, les dialectes régionaux, c'est toujours été, avec une image évidemment plutôt négative, de gens arriérés de la campagne, etc.

Aujourd'hui, la perception des gens change, ils se rendent compte de leur langue et de leur culture qui est en train de disparaître, et on assiste à des mouvements qui sont d'ampleur et d'efficacité assez limités, mais qui sont néanmoins louables, pour tenter de sauvegarder ces langues. Les linguistes ont un rôle à jouer en fournissant des descriptions, ils peuvent aider à rédiger des manuels, en collaboration avec les communautés locales qui seraient demandeuses d'une expertise pour les aider à revitaliser leur langue.

Il existe des tentatives locales, parfois avec un soutien des collectivités locales, mais assez peu de la part de l'État japonais, qui lui se contente de financer des enquêtes pour savoir quelle est la situation. Je ne crois pas, en tout cas pas à ma connaissance, qu’il ne subventionne de tentatives de revitalisation. À Okinawa, vous trouvez par exemple des cours d'okinawaïen qui existent, et il y a des manuels qui ont été faits. On a des associations, je crois même qu'il y a un petit journal qui existe. Dans d'autres régions, vous pouvez aussi trouver parfois des radios locales, qui n'émettent pas en permanence, mais où vous avez des émissions en langue locale. Et sinon, dans d'autres régions, par exemple je pense à Kikaijima, à Okinoerabu-jima, ou à Yonaguni aussi, donc il y a des tentatives de mettre en place des cours pour les enfants.

Néanmoins, on arrive un peu tard pour sauver ces langues, ça aurait été beaucoup plus efficace il y a peut-être 50 ans. Aujourd'hui, il faut réapprendre à des gens qui n'ont jamais appris ces langues traditionnelles, à les parler, puisqu'ils ne les ont pas apprises quand ils étaient enfants, ils ne les ont pas utilisées dans leur foyer. Et c'est évidemment quelque chose de très compliqué, puisqu'il faut une volonté forte, parce que ce ne sont pas des langues comme les langues étrangères, par exemple l'anglais, où on a une forte incitation et un avantage à l'apprendre. C'est prestigieux, ça peut vous aider à trouver un travail à l'extérieur de ces régions et à vous élever socialement, ce qui n'est pas le cas de ces langues traditionnelles, qui ont certes une forte valeur culturelle, mais qui n'ont pas d'utilité socio-économique à court terme. On peut difficilement être optimiste, on ne reviendra sans doute jamais à la situation qu'il y avait il y a 50 ans, ou même avant la guerre, néanmoins peut-être que certaines variétés pourront continuer à survivre. On le souhaite, mais c'est évidemment très difficile.

Je connais les cas d'autres régions du monde aussi. Vraiment, quand vous n’avez déjà plus aucun enfant qui parle la langue, c'est déjà mal parti. Il y a quelques exemples où ça a bien marché. À Hawaï, ils ont fait des crèches en immersion totale en hawaïen, mais voilà, ça demande quand même une volonté forte.

Ça demande vraiment une volonté de faire, une identité, mais extrêmement forte aussi, et qui s'oppose brutalement, violemment au Japon, en fait. Parce que le problème, entre guillemets, c'est que la plupart des gens dans les Ryūkyū se sentent Japonais. Ils se sentent Japonais aujourd'hui. Ça n'a pas toujours été le cas, même s'ils peuvent subir des discriminations. Ce n'est pas comme les Basques. Vous voyez, les Basques, ils se sentent Basques avant tout. Ça n'aide pas non plus.

On estime qu’aujourd’hui, sur 7 000 langues parlées dans le monde, 2 400 sont vulnérables et 600 sur le point de s’éteindre. Seulement 23 langues concentrent la moitié des locuteurs. Ce phénomène d’extrême concentration et de perte de diversité, on le retrouve dans plein d’autres domaines : culturel, agricole, environnemental, etc.

Tout au long de cet épisode, on a vu que derrière le terme de « dialecte », qui est le plus souvent utilisé quand on parle de langues d’Okinawa, se cache en fait une grande diversité. Au-delà de l’okinawaïen, on trouve aussi l’amami, le miyako, le yaeyama et le yonaguni. Autant de langues bien différentes du japonais standard, en particulier au niveau de leur prononciation. Un des messages à retenir, c’est que ce mot « dialecte » n’est pas anodin, qu’il y a des considérations historiques et politiques qui entrent en jeu. Dans le cas du Japon, l’utilisation des langues ryūkyū a été activement combattue par le gouvernement tout au long du XXe siècle. Elles ont été considérées comme un obstacle à l’intégration et ont finalement été abandonnées par les habitants. Malgré des initiatives locales pour les préserver, elles sont aujourd’hui en voie de disparition.

Avant de conclure l’épisode, j’ai eu envie de vous faire écouter des extraits de conversation en quatre langues ryūkyū : du nord au sud, l’okinawaïen, le miyako, le yaeyama et le yonaguni. Ces petites pastilles seront bien sûr suivies de leur traduction en français, mais aussi de leur équivalent en japonais standard, pour que vous vous rendiez compte par vous-mêmes des différences !

  • 「何をする?」中南部 / « Qu’est-ce qu’on fait ? » en okinawaïen

ちゅーぬ ひるぬ なかゆくえー ぬーし あしぶが。サッカーし あしばな。
Ce qui donne en japonais : 今日の昼休みの時間は、何をして遊ぼうか。サッカーをして遊ぼうぜ。
Et en français : À quoi on va jouer à la pause ce midi ? On n’a qu’à jouer au foot !

  • 「何の本?」宮古 / « Qu’est-ce que tu lis ? » en miyako

のーぬ ほんぬが ゆみゅーりゃー。んきゃーん ぱなしぅぬ かかい ういぅ ほんぬどぅ ゆみ ういぅさーい。
Ce qui donne en japonais : 何の本を読んでいるの。昔の物語が書かれた本を読んでいるよ。
Et en français : Qu’est-ce que tu lis comme livre ? C’est un livre avec de vieilles histoires.

  • 「難しいね」石垣 / « C’est difficile ! » en yaeyama

うまー むつかさ そーらー。ならーし ひょーり。んー。みしゃーんどぅらー。
Ce qui donne en japonais : ここは難しいね。教えてくれない。うん。いいよ。
Et en français : Ce passage est difficile ! Est-ce que tu peux me l’expliquer ? Oui, si tu veux !

  • 終わるとき」与那国 / « À la fin de la journée » en yonaguni

すーや、 うし しまるー だならどぅ ひるどぅ。すーや、 あらーぐ ふがらさ。また あったや。
Ce qui donne en japonais : 今日は、これで終わろう。気を付けて帰りなさいね。今日も、ありがとうございました。また明日。
Et en français : On s’arrête là pour aujourd’hui ! Rentrez bien ! Merci pour aujourd’hui. À demain !

Merci d’avoir écouté ce nouvel épisode de « Fascinant Okinawa ». J’espère qu’il vous a plu. Dans les deux prochains épisodes, on parlera d’un sujet assez lourd, mais néanmoins fondamental dans l’histoire récente : la bataille d’Okinawa.

Pour terminer, j’ai envie de revenir sur un point important. Comme vous pouvez le constater, je réalise ce podcast en français, donc j’imagine que la plupart des auditeurs et des auditrices viendront de France ou d’autres pays francophones. Mon objectif, avec « Fascinant Okinawa », n’est pas de vous inciter à vous rendre sur place. En effet, la crise climatique que nous traversons s’aggrave, comme nous pouvons le voir avec les catastrophes naturelles qui se multiplient. L’un des gestes susceptibles de peser le plus dans notre empreinte carbone individuelle, c’est de prendre l’avion. Or, un aller-retour vers Okinawa depuis la France, ça représente 2,7 tonnes de CO2, soit plus que les 2 tonnes par personne et par an que l’on doit viser pour respecter l’accord de Paris sur le climat. Okinawa souffre aussi déjà de la sur-fréquentation touristique, qui impacte la population locale et l’environnement. Mon objectif avec ce podcast est de vous faire voyager depuis votre canapé, ou votre cuisine si vous êtes en train de faire la vaisselle, sans compromettre l’avenir de la planète ni la vie quotidienne des Okinawaïens.

Le mot de la fin : « Fascinant Okinawa » est un jeune podcast indépendant qui a débuté il y a seulement quelques mois. Il a besoin de votre soutien ! Abonnez-vous, partagez cet épisode, parlez-en à vos ami-es qui aiment le Japon, l’histoire et la culture japonaises. Vous pouvez le retrouver sur vos plateformes de podcast habituelles. Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas aussi à consulter les sources dans la description de l’épisode. Enfin, je vous invite à suivre le compte Instagram du podcast, @fascinant.okinawa. J’y publie de façon régulière du contenu complémentaire sur Okinawa, en particulier des cartes et des informations sur mes sources. Je serai ravi d’échanger avec vous et répondre à vos questions par ce biais.

En attendant, je vous dis à dans un mois pour le prochain épisode ! Salut !

Description de l’épisode

Aujourd’hui, nous allons nous pencher de manière plus approfondie sur les langues ryūkyū, aussi familièrement appelées shimakutuba (« la langue de l’île »). En quoi sont-elles différentes du japonais standard ? Quels facteurs ont favorisé leur déclin tout au long du XXe siècle ? Y a-t-il des initiatives aujourd’hui pour les préserver ? C’est à toutes ces questions que nous allons tenter de répondre dans ce nouvel épisode consacré à la culture okinawaïenne.

Connaissez-vous Okinawa ? Cette région au sud du Japon est surtout réputée pour ses plages paradisiaques et le fameux « régime d’Okinawa », supposé faire des miracles pour allonger l’espérance de vie. Dans « Fascinant Okinawa », je vous emmène au-delà de ces clichés. Venez découvrir l’histoire et la culture de ce territoire à la croisée des influences japonaises, chinoises et américaines.

Écriture et réalisation : Clément Dupuis

Musique : Keisuke Ito

Habillage sonore : Quatre extraits de conversations en langues ryūkyū enregistrés par la cellule de promotion du shimakutuba de la préfecture d’Okinawa (「難しいね」石垣 « C’est difficile ! » en yaeyama ; 「何をする?」中南部 « Qu’est-ce qu’on fait ? » en okinawaïen ; 「何の本?」宮古 « Qu’est-ce que tu lis ? » en miyako ; 「終わるとき」与那国 « À la fin de la journée » en yonaguni).

Vignette : Clément Dupuis, sur la base d’illustrations des sites https://illust.okinawa et https://www.irasutoya.com/

Retrouvez également « Fascinant Okinawa » sur Instagram : @fascinant.okinawa

Sources

« À la rencontre de Thomas Pellard, spécialiste des langues du Japon (CNRS-CRLAO) », interview de la série « Portraits de chercheur(e)s en études aréales », Inalco, 25 juin 2022. Disponible en ligne : http://www.inalco.fr/actualite/rencontre-thomas-pellard-specialiste-langues-japon-cnrs-crlao

Bairon Fija, Matthias Brenzinger, Patrick Heinrich. « The Ryukyus, and the New, But Endangered, Languages of Japan ». The Asia-Pacific Journal Japan Focus, Vol. 19-2-09 (9 mai 2009). Disponible en ligne : https://apjjf.org/-Patrick-Heinrich/3138/article.html

James Griffiths. Speak Not: Empire, Identity and the Politics of Language. New York, NY: Bloomsbury, 2021.

Patrick Heinrich. « Language Loss and Revitalization in the Ryūkyū Islands ». The Asia-Pacific Journal Japan Focus, Vol. 3-11 (24 novembre 2005). Disponible en ligne : https://apjjf.org/-Patrick-Heinrich/1596/article.html

Michinori Shimoji et Thomas Pellard (dir.) An Introduction to Ryukyuan Languages. Tokyo: Research Institute for Languages and Cultures of Asia and Africa, 2010.

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