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#1 Un archipel à l’ombre de trois grandes puissances

Quand on vous dit « Japon », vous pensez sans doute aux carrefours bondés et aux néons de Tokyo, ou encore aux geishas, ou peut-être aux temples de Kyoto ? Bien sûr, il s’agit de scènes incontournables du pays du soleil levant, mais le Japon ne se limite pas à ce cliché « entre tradition et modernité ».

On trouve aussi, tout au sud du Japon, une région mal connue : la préfecture d’Okinawa. Vous en avez peut-être entendu parler pour ses plages paradisiaques que les Japonais comparent à celles d’Hawaï. Ou bien peut-être que vous avez déjà tenté le fameux « régime d’Okinawa », censé faire des merveilles pour allonger l’espérance de vie. Là encore, j’aimerais vous emmener au-delà de ces images d’Épinal.

Je m’appelle Clément Dupuis et dans ce podcast, vous allez plonger dans l’histoire mouvementée d’Okinawa, en particulier du XVIIe siècle jusqu’à nos jours. J’aborderai ainsi la colonisation du royaume de Ryūkyū par le Japon, la bataille d’Okinawa et l’occupation américaine. Je vous ferai également découvrir les secrets de la culture okinawaïenne. Vous aurez l’occasion de découvrir les spécificités linguistiques, architecturales, religieuses, ou encore gastronomiques de cette région à la croisée des influences japonaises, chinoises et américaines. Bienvenue dans « Fascinant Okinawa ».

Episode 1 : Un archipel à l’ombre de trois grandes puissances.

Dans cet épisode pilote, je vais brosser un premier portrait de ce territoire et retracer son histoire du XVIIe siècle à nos jours. Rassurez-vous, nous reviendrons sur les différents événements mentionnés plus en détail dans de futurs épisodes.

D’abord, un peu de géographie ! Je vous disais en introduction qu’Okinawa se situait au sud du Japon, mais savez-vous où exactement ? L’archipel des Ryūkyū se situe entre Kagoshima, sur l’île de Kyūshū au sud du Japon, et Taïwan, près de la République populaire de Chine. Bien qu’il s’agisse d’un territoire japonais, le chef-lieu de la préfecture, Naha, se trouve à seulement 600 kilomètres de Taipei. Par contraste, il faut parcourir 1 500 kilomètres pour aller à Tokyo !

On peut distinguer trois régions principales au sein de l’archipel des Ryūkyū. La première est l’île d’Okinawa. C’est là où se situe Naha, le chef-lieu de la préfecture. Plus au sud, on trouve deux chapelets d’îles : les îles Miyako et les îles Yaeyama. Plus au nord, les îles Amami ont historiquement fait partie des Ryūkyū mais sont aujourd’hui rattachées administrativement à la préfecture de Kagoshima.

La préfecture compte environ 1,4 million d’habitants répartis sur 2300 km². La grande majorité se trouve sur l’île principale d’Okinawa. Par comparaison, c’est un espace quatre fois plus petit que la Corse, mais quatre fois plus peuplé !

Revenons maintenant quelques siècles en arrière. Au Moyen-Âge, Okinawa n’est pas une préfecture japonaise. Il s’agit d’un territoire indépendant, appelé royaume de Ryūkyū. Unifié par le roi Shō Hashi en 1429, il se situe au cœur d’un réseau commercial prospère avec le Japon, la Corée et de nombreux pays d’Asie du Sud-Est pourtant relativement lointains, dont le Siam (l’actuelle Thaïlande) ou encore l’empire Khmer (le Cambodge contemporain).

En raison de sa position stratégique entre le Japon et la Chine, le royaume entretient des relations diplomatiques complexes avec ses deux puissants voisins. Bien qu’indépendant, le royaume de Ryūkyū obéit à l’ordre régional chinois, fondé sur une relation de subordination entre ka et i (c’est-à-dire entre nobles et barbares), symbolisée par des tributs. Dans ce système, les barbares bénéficient de la protection des nobles avec un minimum de perte d’autonomie. Le royaume des Ryūkyū reste ainsi affilié à la Chine à partir de la fin du XIVe siècle, sous la dynastie des Ming (de 1368 à 1644), puis des Qing (de 1644 à 1912).

Mais le Japon n’est pas en reste : le shogunat cherche à étendre son influence, à la fois au nord, à Hokkaido, et au sud, à Okinawa. En 1609, le clan Satsuma, qui contrôle la région de Kagoshima, à la pointe sud de l’île de Kyūshū, envahit Okinawa sans pour autant l’annexer. Seules les îles Amami, à son extrême nord, deviennent la propriété du clan Satsuma.

Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, le royaume se retrouve donc dans une situation de double vassalité (ryōzoku kankei), entretenant une relation tributaire avec l’Empire chinois d’un côté et le shogunat japonais de l’autre. Cela n’empêche pas l’archipel de cultiver ses relations avec l’extérieur jusqu’aux années 1850, en signant des traités d’amitié et de commerce avec la Hollande, la France et les États-Unis.

1868 marque un tournant dans l’histoire du Japon, qui va également fortement impacter Okinawa. En effet, la fin du shogunat, qui coïncide avec le début de l’ère Meiji et le retour au pouvoir de l’Empereur, est une période d’intenses contacts avec le monde occidental. Le Japon cherche, en quelque sorte, à rattraper son retard, en particulier sur le plan légal et militaire, pour devenir à son tour un État moderne. Dans ce contexte, la situation ambiguë dans laquelle se trouve Okinawa ne peut plus durer : son appartenance à l’État japonais doit être clarifiée.

À partir de 1872, le processus d’absorption du royaume de Ryūkyū par le Japon commence. C’est ce qu’on a appelé « l’annexion des Ryūkyū » (Ryūkyū shobun). Malgré la résistance de la cour des Ryūkyū et les critiques de la Chine, le royaume disparaît définitivement en 1879 pour devenir une préfecture japonaise, sous le nom d’Okinawa qu’on lui connaît aujourd’hui.
Si Okinawa est incorporé à l’Empire, les habitants restent considérés comme des « citoyens de seconde zone » et subissent une intégration à marche forcée. Ils sont sommés par les Japonais d’abandonner leur langue et leur culture religieuse pour adorer l’Empereur.

Arrive la Seconde Guerre mondiale. Entre mars et septembre 1945, Okinawa est le théâtre de l’une des batailles les plus sanglantes du conflit, la seule ayant lieu sur le sol japonais. Opposant plus d’un demi-million de soldats américains et plus de 100 000 troupes japonaises, la bataille d’Okinawa a causé la mort de 210 000 personnes, dont 120 000 civils okinawaïens. Cela représente plus d’un quart de la population de l’époque.

C’est à cette occasion que les États-Unis deviennent la troisième grande puissance à peser sur l’archipel des Ryūkyū. À la fin de la guerre, l’ensemble du Japon est occupé par l’armée américaine, mais si elle prend fin en 1952 à Tokyo, cette occupation va durer 27 ans à Okinawa, soit jusqu’en 1972. En effet, les Américains rechignent à abandonner ce territoire, devenu la « clé de voûte du Pacifique » dans le contexte de la Guerre froide. Les États-Unis entreprennent alors de construire de nombreuses bases militaires dans la préfecture, en particulier sur l’île principale d’Okinawa.

Aujourd’hui encore, malgré un timide mouvement de fermeture et de relocalisation, Okinawa accueille 31 infrastructures militaires américaines. Cela peut paraître peu, mais ce chiffre correspond tout de même à 70 % des bases installées sur l’ensemble de l’archipel japonais. Pourtant, la préfecture représente moins de 1 % de la superficie du Japon. Certaines de ces bases font régulièrement l’actualité en raison des risques qu’elles font courir aux civils : pollution sonore et chimique, viols, accidents aériens, etc. Celle de Futenma a ainsi été surnommée par les Américains eux-mêmes « la base la plus dangereuse du monde ».

Il y a un an et demi, en mai 2022, on a fêté le cinquantième anniversaire de la rétrocession d’Okinawa au Japon. On pourrait penser que ce début de XXIe siècle est plus calme. Mais le poids de l’histoire reste toujours très présent et aujourd’hui, l’ombre de la Chine plane à nouveau sur la région.
Royaume indépendant manœuvrant entre la Chine et le Japon, préfecture japonaise puis territoire administré par les occupants américains avant de regagner le giron japonais, Okinawa a connu de multiples rebondissements dans son histoire depuis six siècles. Aujourd’hui encore, ce territoire reste tiraillé entre les trois grandes puissances qui l’entourent.

J’espère que ce pilote vous a plu et qu’il vous a donné envie d’en savoir plus sur ce territoire fascinant qu’est Okinawa. Dans les prochains épisodes, je me pencherai plus en détail sur certains événements historiques que j’ai effleurés ici, en particulier la colonisation du royaume de Ryūkyū par le Japon, la bataille d’Okinawa et l’occupation américaine.

De façon alternée avec ce petit cours d’histoire, je prévois également de vous proposer des épisodes davantage axés sur la culture okinawaïenne. Vous aurez l’occasion de découvrir les spécificités linguistiques, architecturales, religieuses, ou encore gastronomiques de cette région à la croisée des influences japonaises, chinoises et américaines.

Pour terminer, j’ai envie de revenir sur un point important. Comme vous pouvez le constater, je réalise ce podcast en français, donc j’imagine que la plupart des auditeurs et des auditrices viennent de France ou d’autres pays francophones. Mon objectif, avec « Fascinant Okinawa », n’est pas de vous inciter à vous rendre sur place. En effet, la crise climatique que nous traversons s’aggrave, comme nous pouvons le voir avec les catastrophes naturelles qui se multiplient. L’un des gestes susceptibles de peser le plus dans notre empreinte carbone individuelle est de prendre l’avion. Or, un aller-retour vers Okinawa depuis la France représente 2,7 tonnes de CO2, soit plus que les 2 tonnes par personne et par an que l’on doit viser pour respecter l’accord de Paris sur le climat. Okinawa souffre déjà de la sur-fréquentation touristique, qui impacte la population locale et l’environnement. Mon objectif avec ce podcast est de vous faire voyager depuis votre canapé, ou votre cuisine si vous êtes en train de faire la vaisselle, sans compromettre l’avenir de la planète ni la vie quotidienne des Okinawaïens.

Le mot de la fin : « Fascinant Okinawa » est un jeune podcast indépendant qui vient tout juste de débuter. Il a besoin de votre soutien ! Abonnez-vous, partagez cet épisode, parlez-en à vos ami-es qui aiment le Japon, l’histoire et la culture japonaises. Vous pouvez le retrouver sur vos plateformes de podcast habituelles. Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas aussi à consulter les sources dans la description de l’épisode.

En attendant, je vous dis à dans un mois pour le prochain épisode ! Salut !

Description de l’épisode

Connaissez-vous Okinawa ? Cette région au sud du Japon est surtout connue pour ses plages paradisiaques et le fameux « régime d’Okinawa », qui est supposé faire des miracles pour allonger l’espérance de vie. Dans « Fascinant Okinawa », je vous emmène au-delà de ces clichés. Venez découvrir l’histoire et la culture de ce territoire à la croisée des influences japonaises, chinoises et américaines.
Dans ce premier épisode, je vais brosser un premier portrait d’Okinawa et retracer son histoire du XVIIe siècle à nos jours.
Ecriture et réalisation : Clément Dupuis
Musique : Keisuke Ito
Vignette : Clément Dupuis, sur la base d’illustrations des sites https://illust.okinawa et https://www.irasutoya.com/
Retrouvez également "Fascinant Okinawa" sur Instagram : @fascinant.okinawa

Sources

Glenn D. Hook et Richard Siddle (dir). Japan and Okinawa: Structure and Subjectivity. London, New York : Taylor & Francis, 2002.
George H. Kerr. Okinawa : the History of an Island People. 1958 [2000], Tuttle Publishing.
Tze May Loo. Heritage politics: Shuri Castle and Okinawa's Incorporation into Modern Japan, 1879-2000. 2014, Rowman & Littlefield Publishers.
Akira Manato. « Base burden reduction on Okinawa still distant concept 25 year after SACO agreement. » 2 décembre 2021, Ryukyu Shimpo. Disponible en ligne : http://english.ryukyushimpo.jp/2021/12/08/34269/
Satoko Oka Norimatsu, Gavan McCormack. Resistant Islands: Okinawa Confronts Japan and the United States. 2012, Rowman & Littlefield Publishers.

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