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Léonard Foujita et ses modèles レオナード・フジタとモデルたち

Later years of Leonard Fujita レオナール・フジタの晩年
画家・藤田嗣治
映画『FOUJITA』予告編


Foujita et l'image photographique
Anne Le Diberder
In memoriam Hiromi Hanzawa
La relation qu'entretient Foujita avec la photographie est rarement évoquée, elle est pourtant loin d'être anecdotique et mérite une attention particulière.
Foujita a en effet su utiliser ce médium dès son arrivée à Paris, d'abord en se mettant en scène devant l'objectif,construisant ainsi savamment son image,puis en passant derrière l'objectif devenant photographe amateur. Sa production devient alors une source d'inspiration et un outil documentaire précieux comme en atteste le fonds photographique conservé dans l'atelier du peintre à Villiers-le-Bâcle. Celui-ci est constitué de plus de 2000 négatifs, qui portent majoritairement sur une décennie allant de 1930 à 1940 environ.
Face à l'objectif
Foujita sait l'importance de la diffusion des images, en particulier à travers les revues d'art et de la presse illustrée qu'il compulse régulièrement tout au long de son existence. Cette démarche a guidé son apprentissage à Tokyo,forgé sa volonté de découvrir Paris et lui a permis d'identifier, avant même d'arriver en France, les lieux et personnages incontournables de la scène artistique. C'est ainsi qu'il choisit comme point de chute le quartier du Montparnasse, certain d'y rencontrer les acteurs de l'Avant-garde artistique et d'y découvrir les réseaux propices à la notoriété à laquelle il aspirait.
Car Foujita, jeune artiste japonais anonyme, rêve de devenir le premier peintre de Paris. Il veut être connu et reconnu, il sait que cette notoriété passe par la photographie, dans un monde où l'image de presse joue un rôle de plus en plus important. Et à Montparnasse où l'on s'affiche aux terrasses des cafés,dans les bals, dans les ateliers transformés en scène le temps d'une fête, les opportunités de clichés pris sur le vif sont nombreuses. Cette pratique est aussi favorisée par l'évolution des techniques photographiques avec, au tournant du 20° siècle, l'invention des appareils photographiques portatifs et surtout la diffusion d'appareils grand public par Kodak à partir de 1898.
Comprenant l'importance d'être reconnu au milieu d'une foule anonyme et de jouer de sa différence,car il est alors l'un des rares Japonais de Paris, Foujita s'invente très vite un personnage à l'allure tout à la fois élégante et extravagante. Enfin il attire le regard! Il se prête naturellement très volontiers au jeu des photographes, en toute circonstance.
Cette démarche est assez fréquente à Montparnasse, où tous rêvent de notoriété, cependant Foujita exacerbe cette attitude. Il a compris parmi les tout premiers que faire connaître son œuvre n'est plus suffisant dans ce monde : il faut aussi se promouvoir. Progressivement, ceuvre et homme vont ainsi devenir indissociables. Il n'est donc pas anodin que, sur sa première carte de séjour établie en avril 1917', Foujita affiche tous les attributs du peintre bohème : cheveux longs, blouse et lavallière. Il n'est pas Tsuguharu Foujita, citoyen japonais, mais bien le peintre Foujita. Peu après, toujours dans ce même objectif de différenciation, il adopte sa célèbre coupe de cheveux « à la chien » qui sera sa marque de distinction pendant presque toute son existence.
Après la Première Guerre mondiale, dans cette atmosphère d'effervescence et d'excentricité qui ont contribué à qualifier cette décennie d'Années Folles, la presse mais aussi le cinéma, grâce à l'essor des actualités filmées, relayent à l'envi les images d'un Foujita tout à la fois dandy, mondain et noceur.
Elles mettent en scène un Foujita intégré à la bohème parisienne il est devenu le plus parisien des Japonais.
Foujita se prête aussi au jeu de la photographie en studio. Dès 1921 il peut s'offrir les services de photographes spécialisés dans les portraits d'artistes comme Henri Martinié, ou Boris Lipnitzki. L'un des portraits les plus célèbres de l'artiste posant avec son chat est d'ailleurs dû à la photographe de mode d'Ora, publiée en 1928 dans la revue l'Officiel de la mode.
Parallèlement, Foujita devient modèle pour ses amis et relations tels André Kertész qui le met en scène dans son atelier ou encore Bérénice Abbott.
Lors de son deuxième séjour parisien en 1939, il reçoit le jeune Roger Parry dans son atelier de Montmartre. Puis à son retour définitif en France en 1950, ce sont désormais les photographes qui le sollicitent. Robert Doisneau capte ainsi l'artiste et sa femme, à peine installés dans leur hôtel du Palais-Royal. Foujita pose également pour Thérèse le Prat, Willy Ronis ou Sabine Weiss, tous de grandes figures de la photographie.
Derrière l'objectif
Foujita, comme la majorité des artistes, s'entoure d'une importante documentation. Cette démarche est d'autant plus importante pour lui qu'il n'intègre pas d'école d'art ou d'atelier à son arrivée à Paris en 1913. Il n'a donc pas accès aux ressources de ces lieux. Certes, Foujita prend une carte de copiste au Louvre, mais l'accès est désormais limité à un après-midi
par semaine. De plus, la découverte de ville grâce à ses longues promenades ne satisfait pas sa curiosité et ne lui suffit pas pour comprendre en profondeur son nouvel environnement. Foujita commence alors à se constituer une documentation personnelle qui lui sert de source d'inspiration et, dès que ses finances le lui permettent, il acquiert ouvrages et revues. Après 1920, il entre en possession de fascicules publiés par Eugène Atget : Paysages et documents, Paris pittoresque et L'Art dans le Vieux Paris. Il connaît cependant le travail du photographe,installé à Montparnasse, dès 1914.
Eugène Atget, né en 1857 devient photographe en 1888 après avoir pratiqué plusieurs métiers dont celui de peintre. A partir de 1890 il propose aux artistes peintres des illustrations photographiques de fleurs, de
paysages, d'animaux ou de monuments qu'il regroupe par séries à partir de 1910.
Le travail du photographe va profondément influencer Foujita, en premier lieu dans ses paysages parisiens exécutés en 1914, pour lesquels il adopte les mêmes points de vue sans lyrisme et des tonalités Sourdes proches du chromatisme photographique. Il aura tout le long de sa vie le réflexe de puiser dans la documentation photographique. Il y recherche des motifs qui viennent enrichir ses compositions,en particulier dans ses arrière-plans. De plus, l'influence d'Atget se retrouve aussi dans son mode de classement documentaire. Nous avons conservé dans son atelier des dossiers où Foujita triait par thématiques coupures de presse et reproductions photographiques reprenant les mêmes titres des sous-séries d'Atget : fleurs, animaux, monuments..
Enfin il existe une similitude d'approche entre les deux artistes dans la prise de vue des clichés de monuments et de détails.
Car Foujita pratique la photographie depuis au moins 1923, il possède plusieurs appareils dont un Brownie folding Kodak, puis à partir de 1930 un Leica. Foujita est loin d'être le seul peintre à utiliser la photographie comme support documentaire, avant lui Edgar Degas ou Pierre Bonnard ont su utiliser ce médium, mêlant images intimes et recherche de composition. Kisling, et de nombreux artistes de l'Ecole de Paris y ont recours également.
L'existence des archives photographiques portant sur les années 30, au moment où Foujita quitte Paris pour un long périple en Amérique latine puis sa réinstallation au Japon, offre une vision nouvelle sur le travail préparatoire du peintre.
A l'étude de ces documents, nous découvrons qu'il utilise ses clichés à la manière des fascicules d'Atget.
Il semble pourtant photographier sous le coup de l'émotion, parfois sans réelle mise au point, avec une impulsion subjective à l'opposé de la photographie documentaire. Foujita paraît soudainement attiré par un paysage, un groupe d'enfants, une structure de mur, un monument ou des végétaux graphiques. Puis il puise dans ces clichés afin d'enrichir son œuvre picturale. Cette démarche se retrouve dans de nombreux tableaux de cette période, comme par exemple dans le tableau intitulé Lutteur de sumo à Béiping (cat. no.65) datant de 1935 et conservé à la fondation Masakichi Hirano à Akita où tout l'arrière-plan est un assemblage de clichés de foule pris à Pékin l'année précédente. Cette même utilisation de la photographie
se retrouve dans son célèbre tableau figurant les Fête des quatre saisons (1937). Et ce ne sont que deux exemples parmi d'autres.
Quelques clichés pris en plongée rappellent également le travail de ses amis photographes autour de l'Ecole de Paris. Ceux-ci, voulant se dégager de la représentation pictorialiste ont proposé une vision neuve en offrant des cadrages innovants. La première exposition indépendante de la nouvelle
photographie, dite « Salon de l'Escalier » se tient en mai 1928 au théâtre des Champs-Elysées, elle regroupe la majorité des photographes déjà cité : André Kertész, Bérénice Abbott, madame d'Ora, Eugène Atget, mais aussi Man Ray, Germaine Krull et Paul Outerbridge.
Nous retrouvons chez Foujita des prises de vue d'affiches, de vues urbaines en plongée qui rappellent les tenants de ce nouveau regard photographique. Mais l'emprunt le plus flagrant est assurément celui fait à Paul Outerbridge, dont les clichés de nus féminins vus de dos cadrés uniquement sur les jambes rappellent immanquablement le tableau intitulé Trois Femmes, datant de 1930 (cat. no. 60).
Ces emprunts photographiques, loin d'atténuer le talent créatif de Foujita attestent à la fois de sa orande culture et de son ancrage dans l'art de son temps. Il y a chez cet artiste une volonté farouche de comprendre son époque et de s'inscrire dans le monde qui l'entoure par-delà le choix de sujets souvent intemporels.
(Directrice, Musée Maison-Atelier Foujita)
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Foujita et l'enfant modèle
Sylvie Buisson
Foujita, ouvrier passionné de la ligne, est avant tout un portraitiste. Notamment des enfants. Aux Beaux-Arts de Tokyo, il ose présenter son propre portrait au jury du diplôme de fin d'études ; il n'est plus enfant certes mais il a l'indécence de se présenter comme un Delacroix ou un Géricault. C'est un caprice qu'il paie cher ; il est jugé comme prétentieux alors qu'il ne souhaitait qu'illustrer sa soif de devenir un jour un grand peintre, et l'interprète de la vie humaine.
Par le biais de cet autoportrait, dans le climat introspectif de sa jeunesse, il revendique les principes de sa métapbysique du portrait : Sentir, ressentir, épurer et s'approprier le modèle.
Par la double voie de l'introspection et de la quête de l'âme, Foujita redécouvre le pouvoir de l'émotion.
Après avoir assimilé l'Antiquité, l'art Roman, le primitivisme et la Renaissance italienne, chacun de ses gestes prouvera son génie d'inventeur ; il se lance dans le portrait. Les enfants, dont les émotions surgissent sans fard, le fascinent.
Sa méthode est la pose, son envie, la ressemblance et il considère comme André Gide que "... pour un portrait, la ressemblance, n'entre que faiblement en ligne de compte dans le mérite d'un tableau".
À chacun de ses portraits, il installe une légère et constante assymétrie, une distorsion des traits et un manièrisme évident des mains, des épaules et des bras qui, comme le léger strabisme du regard, ouvrent la voie du vrai souffle vital selon Foujita.
Si l'exigence de ressemblance est très relative dans la civilisation occidentale, elle l'est plus encore en Asie où l'homme fut longtemps représenté par les symboles de son pouvoir et son visage idéalisé jusqu'au masque. Au fil des séances de pose, la forme se détache du détail, Foujita n'en retient que certains qu'il s'ingénie à accentuer. La mère ne reconnaît plus son enfant, Foujita oui. Elle ne voit qu'un Foujita au
travers du petit modèle. Il est vrai que constamment une fusion de l'artiste et de l'enfant s'est produite au fil de la création. La ressemblance est l'aboutissement de cette aptitude fusionnelle, cette métamorphose,le fruit de l'acuité du regard et de la tension d'un tracé d'une maitrise absolu. Les épaules disparaissent sous un visage exagérément grossi et déformé comme vu au travers d'un objectif grand-angle, l'enfant devient l'objet du spectateur, il est surpris en flagrant délit de pensée. Le temps s'arrête.
S'il multiplie les portraits d'enfants, c'est parce que Foujita est viscéralement attaché à l'autoportrait et que pour mieux s'interroger et se retrouver, il n'a pas de meilleure méthode que d'étudier le naturel enfantin. C'est par série de trois ou de quatre portraits que Foujita fonctionne.
Il se nourrit de la fraîcheur, de la candeur, de l'innocence du jeune âge.
Un âge qu'il ne veut pas perdre.
C'est l'exorcisme dont il a besoin pour mener le dur combat de son art.
Le calme et la mélancolie, les deux piliers de l'esthétique japonaise, reviennent en leitmotiv dans ses portraits d'enfant. Lorsqu'il s'attèle à un autre visage que le sien, il applique ses canons de beauté à ses modèles : front petit, menton agrandi, yeux bridés, bouche très ourlée et pommettes saillantes.
Mais il s'ingénie aussi à capter l'unicité, l'individualité du regard, l'infime dissymétrie et les expressions discrètes et contradictoires qui se superposent et caractérisent les hésitations du vivant. Il y a une vraie ressemblance entre le modèle et l'expression.
En cela, il rejoint toujours le Japon. Et comme le souligne René Huyghe, "L’art japonais essaie d'écbapper à la délimitation dans le temps.. Serge Eliseev a montré comment dans les portraits, « l'expression de l'æil droit précédait.. celle de l'æil gauche, alors que la ligne de la bouche représentait l'expression à un troisième moment » sans que l'ensemble perdit son barmonie. "
Aucun détail de l'ensemble ne lui échappe, mais il n'en retient que certains et c'est dans ce choix que
réside son génie. Si l'on compte dans la carrière de Foujita de nombreux portraits officiels qui le rangent dans la catégorie des peintres mondains, ses enfants modèles au contraire l'obligent à se surpasser. "Il n'aime guère le portrait officiel, la dame qui désire avoir son effigie "par Foujita", témoigne Francis de Miomandre,mais il fait monter la passante, la petite ouvrière en jupe courte et en tablier, et il l'étudie avec amour, et il scrute jusqu'au fond le mystère de son visage chlorotique et mince.. Lorsqu'il n'exécute pas un portrait commandé, Foujita ne peint jamais d'après modèle. Et ses figures imaginaires n'en demeurent pas moins le reflet d'une authentique étude de la personne bumaine. Ce sont de petites filles, des bébés ou des femmes aux cheveux si légers que leur blondeur se confond avec la pâleur de leur front. Chaque visage révèle la recherche d'un regard intérieur, de la vie profonde qui perce sous le sourire retenu ou la paupière baissée.. Le voilà le triompbe de notre pensée mais c'est plutôt le triomphe de Foujita sur lui-même qui dépasse le seuil d'une beauté décorative où s'arrêtaient la plupart de ses grands ancêtres."
« C'est bien le modelé sans ombres de M. Ingres, écrit Thiébault Sisson', avec qui d'ailleurs Foujita semble apparenté autant qu'avec ses ancêtres nippons – un modelé que l'arabesque si souple des lignes suffit à suggérer, du moins dans ce qu'il a d'essentiel ».
On comprend à quel point Foujita est proche d'Ingres qui, par la magie du trait, exprime la pure vérité du modèle.
« Nul ne peut se flatter d'approcher la vérité sans une attention de tous les instants », disait Ingres à propos du portrait.
Une vérité qui passe par la connaissance et la dépasse nécessairement lorsque l'enfant paraît.
(Historienne de l'art)

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