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Dans les pas de Liszt : Dialogue avec un compositeur-interprète particulièrement inspiré


Introduction

Ludovic Selmi, compositeur-interprète d'exception

Bonjour, je suis François Du Bois, compositeur et marimbiste résident à Tokyo, auteur des livres "La science de la composition" et "La science des instruments de musique" (parus en japonais aux éditions Kodansha dans la collection Blue Backs).

À l'occasion de la sortie de plusieurs de ses œuvres par la société d'édition japonaise D-Project (voir références en fin d'article), découvrons l’artiste Ludovic Selmi et ses sources d'inspiration. Comme je le connais bien, je serai à cette occasion l’intervieweur.

Brève introduction de Ludovic Selmi

Ludovic Amadeus Selmi

Ludovic Selmi est l'un des grands solistes invités dans mon dernier livre préfacé par le fabuleux pianiste Gabriel Tacchino : "La science des instruments de musique".

Ludovic Selmi est un compositeur et pianiste virtuose hors pair, diplômé de l’école des hautes études de Genève. Rappelons que le créateur de cette classe de virtuosité n’est autre que le grand Franz Liszt.

À la fin de ses études, il devient élève de Pierre Barbizet à Marseille. Ce dernier, l’un des grands pédagogues de l’école française, dira de lui qu’il est un compositeur réellement original ! Sa carrière de soliste commence alors...

Je fais sa connaissance à Paris au début des années 90 et très vite, nous formons un duo marimba/piano. Nous nous produirons en Europe, au Japon, et dans les grandes salles françaises.

Ludovic Selmi donne des concerts solo un peu partout en France. Il travaille entre autres sous la direction de Roberto Benzi avec l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine.

Originaire de Toulon, ville se situant au bord de la mer Méditerranée, il décide de quitter la capitale Paris où il s’était installé et de retourner vers le sud pour y vivre. C’est principalement dans cette région française, dans la pittoresque ville de Tarascon, non loin de son lieu de naissance qu'il exerce désormais ses talents artistiques. Pourquoi ce choix ?

Personnage non conformiste, artiste génial qui ne se repose jamais sur ses acquis, toujours à l’affût d’un nouveau chemin à explorer, il a décidé de s'épanouir loin des réseaux conventionnels.

Mais d'abord, écoutons

Interprétation puissante de la « Toccata » de Prokofiev où l'aisance de l'interprète est évidente dès les première notes.


Le dialogue

Deux esprits libres et forts de la musique se parlent sans tabou

François Du Bois : Ludovic Selmi, bonjour.

Je te propose une interview sans concession, en privilégiant le “parler vrai”. C'est un exercice plutôt rare à notre époque où l’on préfère le politiquement correct. Cela apportera à la fois un éclairage sur certaines réalités du métier d’artiste et de l’air aux lecteurs.

Ludovic Selmi : Mais bien entendu !

F.D.B. : Si, par exemple, tu n’es pas fan de la grande radio musicale nationale, il faudra nous le dire (rire) !

L.S. : France Musique donc ! (radio nationale française de musique classique), c’est juste insupportable, c’est bien-pensant avec comme invités les compositeurs officiels certifiés par les "amis" ou le gouvernement !

F.D.B. : Ça commence fort ! Le ton est donné (rire). Mais je te rassure, c'est avec quelques différences, la même chose au Japon, nous vivons partout le règne de la bien-pensance…

L.S. : Oui, ce ne sont pas seulement les institutions qui sont conformistes, mais les artistes eux-mêmes, pour ne pas déplaire à leur groupe, à leur clan, et ainsi préserver leur travail. On peut le comprendre, mais c’est triste !

F.D.B. : Oui, tu résumes bien ce que je peux également constater de mon côté. On va revenir sur tout ça, mais pour commencer, peux-tu nous faire découvrir le charme de cette ville dans laquelle tu résides : Tarascon ?


L.S. : Volontiers, j’aimerais juste préciser que c’est après pas mal de déménagements que je me suis fixé à Tarascon. C’était pour avoir le calme, car j'étais fatigué des grandes villes agitées et polluées. Tarascon me semblait adéquate, car c'est une petite ville située entre plusieurs grosses villes. C’est donc assez facile de se déplacer, par avion ou TGV.

Vraiment, c'est très beau, on peut y découvrir le château du Roi René, une collégiale extraordinaire et un théâtre à l'italienne très réputé. Je suis du sud, j'avais simplement besoin de soleil et de sérénité.

S’installer loin des villes, de plus en plus de solistes le font aujourd’hui. J’ai commencé un peu avant les autres, voilà tout. Et puis on peut maintenant mieux communiquer grâce à Internet. Le contact direct, c’est toujours mieux, mais on peut quand même faire des choses.

Pas intéressé par une carrière spectaculaire

F.D.B. : Mais dans ton cas, je crois savoir qu’il existe une volonté revendiquée de te tenir éloigné des grands centres où les carrières se peaufinent, entre dîners et cocktails mondains. En un mot, tu n’as pas choisi d’être ce que l’on appelle d’usage un carriériste, je veux dire un artiste prêt à sacrifier tout pour s’imposer, jouer de ville en ville, de pays en pays et le plus de fois possible dans l’année.

L.S. : Absolument ! Je préfère laisser faire les choses, et ça a très bien marché jusqu'à présent. Comme je ne joue pas trop mal, les gens me rappellent. (rires)

Ça pourrait ressembler à une sorte de réseau, mais ce n’est pas vraiment ça. La grande différence, c'est que ce n’est pas l’argent qui décide. Si tel était le cas, je ne le supporterais pas. Je ne pourrais accepter qu’un agent ou un organisateur de concerts décide de ce que je dois jouer, avec qui et à quel endroit.

F.D.B. : Là encore, c'est la même chose dans tous les pays. Quand tu décides d'être un concertiste carriériste, tu dois te... comment dire, te contraindre à suivre certaines règles.

L.S. : Oui, en plus parfois ces gens-là t'imposent des partenaires de musique de chambre !

Les idéaux et les réalités de la vie d'artiste

F.D.B. : C’est réellement navrant, surtout pour des artistes qui, à leurs débuts, caressaient l’espoir d’avoir une vie libre et sans contrainte, d’avoir le plus de liberté possible dans ce monde plutôt hostile en quelque sorte et très conformiste.

L.S. : Il y a de grands solistes qui sont obligés de jouer avec d’autres personnes soutenues par le régime en place, ces derniers accédant à ces positions pour des raisons diverses et variées. Faites vos investigations. (rire)

Donc si vous ne collaborez pas avec ces gens-là, vous n’aurez pas de visibilité et parfois plus de travail ! On t'impose trop de choses dans ce métier et si ton but est de faire une carrière très voyante, tu es vulnérable à tout type de pression.

Nous exerçons un métier qui doit impérativement laisser la sensibilité s'exprimer. J'ai fait des choix musicaux, c'est très clair dans ma tête. Ce que j'aime, je vais le défendre ! Je me désintéresse de ce que je n’aime pas.

Introduction aux partitions publiées

"Quintette"

F.D.B. : Merci pour ces éclaircissements. Nous allons maintenant découvrir la première des trois œuvres : “Quintette” qui vient d'être publiée aux éditions D-Project. De quoi s’agit-il ?

L.S. : Alors, il s'agit d'un quatuor à cordes et d'un marimba.

F.D.B. : Et ce dernier (le marimba) n'est pas soliste, précisons-le.

L.S. : Oui, c'est-à-dire qu'il est intégré au quatuor, il est un des membres du quintette.

F.D.B. : C'est une pièce qui, dans un premier temps, étonne par sa longueur, autour de 30 minutes ! Une telle longueur, ce n’est quand même pas banal. Qu’est-ce que tu as voulu exprimer en écrivant cette œuvre et puis surtout, pourquoi le marimba ?

L.S. : Oh là là, la question piège (rire)... Concernant le marimba, c’est grâce à un certain François Du Bois qui m’a fait découvrir l’instrument, tu le connais ? (rires) Après avoir écrit plusieurs pièces pour marimba et piano, il me semblait “adéquat” d'essayer un nouvel environnement autour de cet instrument. C’est pour moi, dans un premier temps, un instrument qui fait raisonner le bois directement. C'est ce mélange avec les cordes, qui elles font vibrer le bois, qui m'intéressait.

F.D.B. : Tu peux nous en dire plus ?

L.S. : En fait, pour cette œuvre, je suis parti de cellules, de mélismes mélodiques que je répète, qui se transforment comme une sorte de gigantesque métamorphose. Il y a une partie brillante au centre, qui est un petit peu en dentelle, organique et plus brute qu'au début.

F.D.B. : Et puis, il y a aussi un passage ton / demi-ton, vraiment rock finalement.

L.S. : Oui, oui, c'est ça, un passage clairement massif. Pour la partie sans ton, on est sur quelque chose de plus aérien. Pour le final, les cordes vibrent à vide en permanence pour obtenir l'impression d'un orchestre qui s'accorde. C’est très physique en fait et ça demande aux interprètes énormément d'énergie. Pour jouer ça, il ne faut pas être un mollasson. (rires)

F.D.B. : Et le tout pour une durée équivalente à une bonne moitié de concert.

L.S. : Oui, c'est ça, c'est le format d'une symphonie, d’une demi-heure, quarante minutes.


"L'addition s'il vous plaît!"

F.D.B. : Passons maintenant au deuxième morceau “L’addition s’il vous plaît !” On parle là d’un duo marimba-violon et qui contraste justement avec le morceau précédent par sa courte durée. Le titre est plutôt insolite, j'en ai parlé un peu autour de moi au Japon, tout le monde a été surpris par le choix de ce titre ! (rires) Raconte-nous un peu plus sur ce morceau…

L.S. : Alors déjà, le titre, en fait, c'est une addition rythmique construite sur 1 et 1, 2 et 1, 2, 3 et 1, 2, 3, 4. Une addition donc : l’addition s’il vous plaît !

F.D.B. : C’était donc ça !

L.S. : C'est comme une espèce de groupement basé sur une gamme mineure. C’est un peu technique, mais en résumé, on exploite la note sensible du premier degré et la sensible du cinquième degré. L'ensemble est ponctué par le violon de manière obsessionnelle, on obtient une sorte de mouvement perpétuel, hypnotique, conduisant à une sorte de transe.

F.D.B. : Mais comment cela peut-il être hypnotique si c'est si court ? Il faut du temps pour obtenir l’effet d’hypnose !

L.S. : C'est parce qu'il faut répéter le morceau ! Il faut mettre des reprises et le jouer à nouveau, puis à nouveau encore…

F.D.B. : C’était donc ça, enfin, je comprends ! Tu m’as bien eu là !! (rires)


"Amé"

F.D.B : Passons maintenant au troisième morceau, pièce Amé. C’est du japonais et ça veut dire pluie. C'est très sympa comme titre, sans doute une inspiration suite à tes séjours, nos séjours au Japon !

Il s’agit d’une composition pour marimba, piano, violon et… pour bâton de pluie ! Ce n'est pas commun comme instrument, tu peux nous expliquer ce que c’est ?

L.S. : Le bâton de pluie aurait été inventé au XVIe siècle par les paysans d’Amérique du Sud, mais certains pensent que c’est beaucoup plus ancien. Bref, il est conçu tout bêtement pour attirer la pluie. Autant en Afrique, ils avaient des musiques pour faire pleuvoir, au Chili, ils avaient ce bâton.

Un petit tronc d’arbre est creusé, parfois du bambou, des piques sont plantées à l'intérieur, on remplit le tronc de graines, et quand on le fait pivoter, on entend les graines tomber. Détail important, il y a une peau tendue aux deux extrémités du tronc pour obtenir la résonance de l’instrument.

FDB : J’en avais un en France ! On comprend que le bâton de pluie apporte le côté humide si j’ose dire (rire), mais le reste de la composition nous emmène où ?

LS : J'ai construit le début de manière très étalée, très linéaire, avec cette pluie qui module l’ensemble, le piano qui lui fait tourner une basse. Par-dessus cette basse, le marimba et le violon viennent et s’en vont de manière répétitive. Il n’y a pas vraiment de fin, on se dirige vers le silence en fait, c’est très Zen.

F.D.B. : C’est amusant, ce n'est pas la première fois que tu me dis ça, on dirait que tu n'aimes pas les fins.

L.S. : Oui, c'est vrai, j'ai des problèmes avec les fins. Le final s’oppose à la première partie, c'est extrêmement fort et agité avec une partie centrale qui redescend un peu et remonte. Et la fin, ça va crescendo, c'est exactement l'inverse du premier mouvement.

F.D.B. : C’est le Yin et le Yang en quelque sorte, deux mondes qui s'enchaînent.

L.S. : Oui, ils s'enchaînent, ils sont côte à côte.

F.D.B. : J’ai vu que le bâton de pluie n’avait pas son mot à dire dans le final !

L.S. : Oui, c'est ça. J’ai également considéré le bâton de pluie comme le bâton que les athlètes se passent lors des relais. J'ai écrit la partie en permettant au marimbiste de le transmettre au violoniste quand ce dernier ne joue pas justement, un échange de relais en quelque sorte.

F.D.B. : Mais c'est très intéressant ça.


"Astéroïde et Baobab"

F.D.B. : Nous arrivons maintenant aux Astéroïdes et à Baobab, six duos marimba/piano sortis chez l’excellente maison d’édition : Alphonse Productions. Ce n’est pas nous qui avons publié ces œuvres, mais il me semblait important d’en parler tant elles sont originales et populaires. Leur particularité est que les deux instruments sont à la fois solistes et accompagnateurs. C'est différent du format traditionnel, où d’usage le piano accompagne l'instrument soliste.

L.S. : Mais là, ce n'est pas le cas ! Ça se mélange !

F.D.B. : Allez, fais-nous rêver, c’est quoi le secret de ces musiques ?

L.S. : Ce sont des musiques très démocratiques. Ce qui m'intéressait, c'était vraiment le mélange entre les deux timbres. Du piano ou du marimba, au bout d'un moment, on ne sait plus qui joue, c’est là le secret.

F.D.B : Oui, on peut dire que tu as brouillé les pistes, mais au final, on s'aperçoit que c'est franchement réussi.

L.S. : Dans mon langage musical, de manière générale, je ne me refuse rien. Ça veut dire que je n'ai pas peur, comme la plupart des compositeurs actuels, de faire un bel accord de Do majeur. J’adore le Do majeur ou le Ré majeur, peu importe, j’ai besoin à ma disposition du plus grand nombre de couleurs possibles et de dynamiques.

F.D.B. : Là, on se retrouve sur toute la ligne ! (rire) Selon moi, la liberté d’expression est ce qu'on attend d'un compositeur, si ce dernier commence à s’auto-censurer, se refuser l’innovation, à vouloir rester dans le groupe des “bien-pensants”, il stagnera, c'est certain. Je ressens cela comme un retour au Moyen-Âge, au “Diabolus in musica” (le diable dans la musique). À l’époque, il était fortement conseillé de ne pas utiliser comme accord, trois tons qui se suivent, parce que cela produit, paraît-il, un effet angoissant et maléfique. Ce triton aurait été interdit par l’Église, car considéré comme satanique, bien qu’il n’existe pas d’écrit sur ce sujet, mais on dit ça entre musiciens. Bref, qui n’avance pas recule, ou au moins régresse.

L.S. : J'adore le triton ! (rire) C'est vrai que cette liberté de composition a été acquise à partir de l'époque romantique, donc ne nous interdisons rien ! En général et pour faire simple, j'écris la musique que j'ai envie d'entendre.

F.D.B. : Ça, c'est très important.

L.S. : Quand j'allume la radio, je ne dis pas que j'aimerais forcément entendre ma musique, mais quand j'écris de la musique, c'est la musique que j'aimerais entendre à la radio. Je compose une musique que j'aime sur l'instant, avec les influences que j'ai à ce moment, et ça évolue en permanence. Je suis satisfait quand malgré les différences de climat dans mes œuvres, on reconnaît quand même ma griffe. Je voudrais ajouter qu'on a tous appris à composer, mais il y a beaucoup de personnes qui composent selon ce qu'ils ont appris, et de ce fait stoppent leur évolution.

F.D.B. : Ça s'appelle un ordinateur, quoiqu'avec l’Intelligence Artificielle, la machine pourrait peut-être faire mieux. (rire)

La différence entre les concepts géniaux et les concepts ordinaires

Si tu veux être un musicien de premier ordre, sois audacieux

L.S. : Il semble que beaucoup de gens ont du mal à s'affranchir, du mal à composer en dehors, plus loin que ce qu’ils sont, du mal à aller vers autre chose, n'est-ce pas ? Il faudrait qu'ils s'affranchissent également dans leur manière de jouer, de travailler à reproduire ce que faisait leur professeur. On les imagine bien, écrasés par ce merveilleux professeur, ils développent ainsi une sorte de comportement, de façon de penser, de se comporter : “Je veux faire comme lui, je veux être comme lui !”

F.D.B. : On imagine le professeur disant à son élève : “C'est comme ça, cette note grave doit être jouée comme ça”. “D’accord maître, mais pourquoi ?” répond l’élève.

L.S. : “Parce que c'est comme ça !” “D'ailleurs, vous avez l'interprétation d'untel qui fait comme ça !” Mais si moi, par exemple, je n'ai pas envie de le faire forte, j'ai envie de le faire piano, je le sens comme ça et j’ai des arguments !

F.D.B. : Des paroles comme ça peuvent déranger beaucoup de gens, tu dois t’en douter puisque au tout début de notre apprentissage musical, on nous demande en premier de suivre les règles et les indications de nos professeurs. On doit bien se former avant de déployer ses ailes.

Est-ce que tu pourrais nous expliquer pourquoi, selon toi, il faudrait développer un esprit rebelle, et cela, très tôt, si j’ai bien compris le fond de ta pensée ?

L.S. : Très bonne question, primordiale même, il faut savoir s’affranchir des règles, mais c’est vrai, pas au début sinon on n’avance pas. Il faut écouter le professeur, mais développer en parallèle sa propre personnalité, son propre sens musical. Il faut avoir quelque chose à dire, ne pas se faire manger en quelque sorte par l’académisme.

Ce que je voulais dire c’est qu'un nombre assez important de solistes restent avec des préceptes inculqués par le professeur ou maître, la limite est donc définie par le professeur, la pensée de ce dernier agit alors comme un mur et le soliste ainsi formaté fera un jour ou l’autre face à ses limites, il ne s’affranchira de rien, et de ce fait, deviendra une copie, avec quelques nuances, du maître qui l'a formé.

C’est ce que je voulais exprimer.

Dans le meilleur des cas, à savoir si le maître est déjà un très bon musicien. Dans le pire des cas, si le maître n’est pas à la hauteur, notre soliste, s’il ne s’émancipe pas, interprétera sur des concepts erronés, ou parce qu'untel a déjà interprété comme ça, de toute façon ça ne viendra pas de lui !

Et puis il y a le cas du professeur qui prétend comprendre, mais qui ne comprend rien, là, on va vers la catastrophe, depuis le début donc et jusqu’à la fin.

J’espère que mon explication est plus claire.

Les aspects sombres de l'industrie musicale

F.D.B. : Merci en effet pour ces éclaircissements que je partage totalement au passage, on n’entend jamais ce genre d’analyse, ça peut froisser des gens de parler ainsi et dans le monde de la musique, on n’aime pas les vagues, on s’est exprimé sur le sujet précédemment, on pense en premier à survivre et se taire et à garder ses contacts.

L.S. : Et oui, c'est ça ! La musique en numéro deux, en numéro un, le réseau !

F.D.B : Là, on parlait principalement des interprètes, mais concernant la composition, puisque l’on aborde des sujets brûlants, que penses-tu de la liberté du compositeur à créer sur les bases de sa simple inspiration, sans être obligé de se travestir et composer des œuvres qui lui permettront d’obtenir des subventions d’organismes d'état ou autres… En résumé, faire de la politique pour pouvoir survivre. Tu penses quoi de tout ça ?

L.S. : Tu parles des compositeurs officiels, comme il y a eu des peintres officiels avant, les peintres-pompiers (sans finesse) et portraitistes payés par l'empereur ou le roi du moment !

F.D.B : Oui, c'est ça.

L.S. : Pour rentrer dans ce cercle, il faut avoir été adoubé par les bonnes personnes, tu peux alors faire main basse sur les subventions.

Un mode de vie heureux, sans contrainte

F.D.B : Nous avons, là, un point commun, nous sommes passés à travers les mailles du filet sans avoir à renoncer à nos idéaux et à notre passion. De ton côté, comment est-ce que tu t’y es pris ?

L.S. : J’ai un peu évoqué le sujet en début de discussion, j’ai misé sur le contact direct avec le public, quand tu joues tes propres compositions en public, les gens adorent ! Ils “rentrent” si j’ose dire tout de suite dans la musique. Ils sont, pour le dire autrement, en prise directe avec la réalité du moment, l'actualité, les influences, ils sont à fond dedans et je peux le ressentir. Je ne dis pas ça par prétention, mais en Suisse l'an dernier. Les gens parlaient entre eux avant le concert, selon ce que l’on m’a rapporté : “On est venu, oui, c'est vrai, mais franchement, la musique contemporaine, on va trouver le temps long, enfin, on va au restaurant après ça !”

F.D.B : Qu’est-ce que tu jouais ?

L.S. : Les 33 miniatures, c’est une suite de courtes pièces pour piano solo que j’ai composées.

F.D.B : Ah les 33 miniatures, oui, bien sûr, je les connais.

L.S. : Ça dure une heure pile, ça s'enchaîne. Je me suis adressé au public avant de commencer : Faites-moi confiance, fermez les yeux, et l’on reparle dans une heure. Je m'adresse aux gens directement, je ne me dis pas après avoir composé : “Dans 300 ans peut-être cette musique sera considérée comme géniale”, je vis les choses en direct avec le public.

F.D.B : Dans 300 ans, on ne sera plus là pour constater quoi que ce soit ! (rires)

L.S. : Ce qui se passera après ma mort ne me regarde plus ! Après moi, le déluge comme on dit.

Un grand succès qui a failli devenir une grande catastrophe

F.D.B : Parlons maintenant de Totem, il s’agit d’un morceau que nous avons coécrit à l'occasion du 25ᵉ anniversaire de la Cité Internationale des Arts de Paris, institution qui reçoit les artistes du monde entier. Nous avons créé Totem au Grand Auditorium, le 104, de Radio France. Cette œuvre a été diffusée nationalement sur la radio nationale, donc, France Musique.

La Cité internationale des arts (c) Maurine Tric

L.S. : Là, on a tout gagné ! Quel challenge !

F.D.B : On a vécu ensemble l’intégralité de l’expérience, je pense que cela pourrait être cocasse d’en parler, je te transmets désormais le bâton. (rire)

L.S. : C’était une aventure un peu folle et cela à toutes les étapes du projet. Lors du concert, il n’y avait pas moins de 25 ambassadeurs dans la salle, selon l’organisation.

F.D.B : Oui, c'était l’œuvre d’ouverture, de grands noms de la musique classique, des gens mondialement connus jouaient après nous, il fallait marquer le coup avec un concept original, on a pris de gros risques. Alors ce Totem ça parle de quoi, ça se présente comment ?

L.S. : Si tu veux, tu peux répondre (rire)

F.D.B. : Possible, mais c’est toi l’interviewé (rire)

L.S. : Il s’agit d’une pièce pour marimba, piano, timbales et grosse caisse, et... un groupe jouant sur des barils d’essence de 200 litres, un groupe très connu à l’époque et encore aujourd’hui, je crois : “Les tambours du Bronx”. Une sorte de bande de sauvages, rebelles, indisciplinés, provocateurs, jamais à l’heure et aimant particulièrement les boissons alcoolisées. Tu confirmes ?

F.D.B. : Oui, c'est ça. Comme je les connaissais depuis longtemps pour être allé à l’école avec certains d’entre eux, je me demande encore comment c’est arrivé, mais bon... et que la possibilité de travailler avec eux était assez grande, on a commencé, toi et moi, à écrire pour cette formation.

L.S. : Voilà, tu les connaissais et pour moi la grande motivation résidait dans le fait que ça allait se passer à Radio France, qui est un temple de l’académisme dans ce pays. Je trouvais donc l’endroit parfaitement adéquat pour une telle prestation. (rires) C'était très rigolo les répétitions, je me rappelle. Ils ne lisaient pas la musique et travaillaient à l’oreille.

Tu te rappelles qu'ils étaient 25 au début, ils ont tous pris la tangente l’un après l’autre ne pouvant mémoriser la musique. À la fin, il ne nous en restait que 8 ! (rires) Au milieu du morceau, on leur a demandé de crier « Totem ! ».

Le présentateur de l’événement à Radio France était Frédéric Lodéon. Tu te souviens que pendant la répétition au 104 (Salle Olivier Messiaen), il nous avait sermonnés : “Vous êtes fous de faire ça, de jouer ici avec des gens comme ça. Vous vous rendez compte de ce qui va se passer ?” (rires)

(Frédéric Lodéon est un présentateur vedette dans le domaine de la musique classique, très connu en France, il fut également l’un des brillants élèves de Rostropovich)

F.D.B : Je constate que tu as beaucoup de bons souvenirs ! Moi, j'ai dû perdre 10 kilos dans cette aventure. En plus, au moment de passer sur scène, on ne les trouvait plus ! On a dû courir partout avec nos amis et assistants dans ce bâtiment de 700 mètres de circonférence avec au centre une tour de 68 mètres de hauteur, dans cette jungle de 1 000 bureaux et 63 studios d'enregistrement. Poussés par le compteur qui tournait et l’heure de l’ouverture qui approchait, je transpire rien qu’en y repensant !

Radio France
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L.S. : (rires) Et finalement, on les a retrouvés dans une des cafétérias, ils étaient tranquillement assis en train de vider des bières !! (rires) Ils étaient complètement en panique. On les a ramenés au grand studio et poussés sur scène juste quelques minutes avant le début de la cérémonie dont nous devions assurer l’ouverture. (rires)

F.D.B : En plus, je me souviens qu'à leur arrivée dans le bâtiment, ils avaient eu un accident avec leur camion en entrant dans le parking et avaient failli se battre avec la sécurité. Vraiment, rien ne nous a été épargné ce jour-là !

L.S. : Mais à la fin, la salle était debout. Je me souviens de Lodéon qui, en prenant bien soin de mettre sa main sur le micro pour qu’on ne puisse entendre ses paroles, nous a déclaré :

“Bravo les gars, c'était impressionnant, franchement, je n’y croyais pas !”

L.S. : Concernant l’écriture, on avait loué une maison à Grasse dans le sud de la France chez une parfumeuse très célèbre. Toutes ces sublimes odeurs nous ont sans nul doute inspirés pour la composition.

F.D.B. : En effet, je crois qu’elle faisait les parfums pour Dior, Kenzo, etc.

C’est sympathique de parler de ces moments de vie artistique, les gens n’entendent jamais les histoires de derrière le rideau.

L.S. : Les gens qui les vivent ont peur que ça leur retombe dessus s’ils en parlent. (rires)

Pour terminer

F.D.B. : Maintenant, j'aimerais bien connaître tes projets. Est-ce que tu as quelque chose en préparation ?

L.S. : Oui, il s’agit de la création d’un triptyque pour flûte et piano que l’on va jouer samedi prochain à Tarascon. J'écris également en ce moment une œuvre pour chœurs de femmes sur des textes de Rainer Maria Rilke, ça s’appelle “3 Roses”. Les partitions sont éditées par EURO CHORAL pour ceux que ça intéresse.

F.D.B : Merci pour ces précisions. Tu as l’air bien occupé, on te souhaite le succès pour tous ces projets !

Je voulais te remercier pour cet échange franc et direct. Les lecteurs vont, après avoir lu cet article, mieux te connaître et découvrir un artiste sans concession. On a tellement besoin du “sans concession” dans cette société boîte de conserve !

L.S. : Tout le plaisir était pour moi, j’envoie toutes mes amitiés au pays du soleil levant, le Japon, qui est un pays que j’adore !

F.D.B. : Merci Ludovic et à bientôt !

L.S. : Merci !

Musiques composées par Ludovic Selmi :

Astéroïdes et Baobab (6 musiques)