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#8 Lever le voile sur les textiles traditionnels d’Okinawa

Connaissez-vous Okinawa ? Cette région au sud du Japon est surtout réputée pour ses plages paradisiaques et le fameux « régime d’Okinawa », supposé faire des miracles pour allonger l’espérance de vie. J’ai envie de vous emmener au-delà de ces clichés. Je m’appelle Clément Dupuis et dans ce podcast, je vais vous faire découvrir l’histoire et la culture de ce territoire à la croisée des influences japonaises, chinoises et américaines. Bienvenue dans « Fascinant Okinawa ».

Épisode 8 : Lever le voile sur les textiles traditionnels d’Okinawa

Au fil des siècles, Okinawa a développé un artisanat d’une grande richesse. Gastronomie, poterie, musique, théâtre, il y en a pour tous les goûts. Dès que j’ai commencé à travailler sur ce podcast, j’ai eu envie de vous parler des textiles traditionnels d’Okinawa. Leurs couleurs vives et leurs motifs sont tout simplement magnifiques. Une fois que je me suis vraiment lancé dans la rédaction de cet épisode, je me suis rendu compte que ce serait un petit challenge : c’est un sujet très visuel, pas idéal quand on n’a que le son ! C’est l’occasion de vous abonner au compte Instagram du podcast, @fascinant.okinawa. Vous y trouverez des photos des différentes techniques de tissage dont on va parler aujourd’hui.

On l’a évoqué dans le tout premier épisode, Okinawa a longtemps été un territoire indépendant : le royaume de Ryūkyū. À partir des XIVe et XVe siècles, le royaume a entretenu des relations commerciales avec ses voisins. En particulier avec le Japon et la Chine, les plus proches. Mais aussi des pays plus lointains comme le Siam ou encore l’Empire Khmer (c’est-à-dire la Thaïlande et le Cambodge).

Ces échanges étroits ont aussi eu lieu dans le domaine culturel. C’est particulièrement visible dans le domaine des textiles. Les artisans importent de nouveaux motifs, s’inspirent de nouvelles techniques au gré de leurs voyages... et finissent par développer un art très spécifique à Okinawa. Dans cet épisode, je vais vous en présenter quelques exemples.

On va commencer avec l’une des techniques de teinture les plus réputées d’Okinawa : le bingata. Si on regarde du côté de l’étymologie, bin signifie « couleur » et gata signifie « motif ». Des motifs, on peut en repérer deux catégories. Ces ornements vont tout de suite nous donner un indice sur le mélange des cultures qui s’est opéré au fil des siècles. D’un côté, des dragons et des phénix : c’est l’influence chinoise. De l’autre, des motifs végétaux comme les fleurs de cerisier et de prunier ou encore les feuilles d’érable : c’est l’influence japonaise. Ces motifs sont transposés sur le tissu avec un pochoir, un peu comme pour un tatouage. L’artisan va ensuite remplir les motifs avec les pigments, de la même façon qu’un peintre qui compose un tableau. Entre la combinaison des dessins et l’utilisation de couleurs vives comme le jaune et l’indigo, on obtient un rendu caractéristique d’Okinawa.

La teinture bingata est utilisée pour le costume traditionnel porté à la cour du royaume de Ryūkyū : c’est le ryūsō, littéralement le « vêtement de Ryūkyū ». Il ressemble beaucoup au kimono japonais « classique », mais on trouve quand même quelques différences qui sont essentiellement liées au climat. Par exemple, le ryūsō se porte de façon plus ample. Le obi, c’est-à-dire la ceinture du kimono, est aussi moins épaisse. Ces adaptations permettent d’améliorer la ventilation du vêtement.

Pour d’autres techniques, l’innovation importée de l’étranger ne se retrouve pas au niveau du motif, mais plutôt du tissage. On va le voir avec les textiles kasuri, qui auraient été rapportés d’Inde via les pays d’Asie du Sud-Est. Contrairement au bingata, les textiles kasuri présentent des ornements géométriques propres à Okinawa, appelés miezu. On a par exemple des motifs d’oiseaux, de nuages, ou encore d’empreintes de chien. Au total, plus de 600 motifs ont été recensés dans des albums appelés miezu-chō. À la cour du royaume de Ryūkyū, les nobles se réfèrent à ces albums pour passer commande auprès des tisserands.

Les textiles kasuri s’obtiennent avec une technique de teinture appelée « à la réserve ». L’idée, c’est de former les motifs en empêchant le colorant de se diffuser dans certaines zones. Ici, les dessins sont créés avant même le tissage. Pour ça, on s’appuie sur une technique particulièrement exigeante : la chaîne et trame. Avant de continuer, un petit point de vocabulaire. La chaîne, ce sont les fils tendus dans le sens de la longueur du tissu. Et la trame, ce sont les fils insérés perpendiculairement à la chaîne qui vont permettre de créer la largeur du tissu. Pour créer un textile kasuri, on commence par attacher des morceaux de coton à intervalles réguliers sur de longs fils de soie. Une fois les fils plongés dans la teinture, on retire les morceaux de coton : les portions cachées sont restées blanches et n’ont pas été affectées par le pigment. En rassemblant les fils, le dessin apparaît en négatif, blanc sur bleu. Avec un métier à tisser, l’artisan peut alors créer le tissu en réunissant la chaîne et la trame (les fils verticaux et horizontaux, si vous avez suivi). Le processus est fastidieux et ne permet à l’ouvrier de réaliser qu’un à deux mètres de tissu par jour. Si vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à aller regarder sur YouTube le joli documentaire réalisé par la chaîne UNAGINO-NEDOKO, qui m’a aidé à mieux visualiser toutes les étapes de fabrication. C’est dans la description de l’épisode.

On a vu jusqu’ici les caractéristiques des textiles d’Okinawa pour ce qui était des motifs et des techniques de tissage. Comme il est beaucoup question de couleurs, c’est maintenant l’heure de s’intéresser aux colorants et aux matériaux utilisés. Aujourd’hui, évidemment, on utilise beaucoup de teintures chimiques. Mais à l’époque du royaume de Ryūkyū, les artisans ont recours à des colorants naturels, essentiellement à base de plantes. Le plus courant est l’indigo de Ryūkyū, qui donne une teinte bleu foncé. Pour le jaune, on utilise l’écorce d’un arbre local, le fukugi. D’autres pigments plus rares sont importés de Chine. Pour faire tenir les couleurs, on fabrique une sorte de colle à partir de farine de riz, de son de riz (c’est-à-dire l’enveloppe autour du grain) et de sel. Le pigment est mélangé avec du liquide de soja, le gojiru, pour faciliter son adhésion au tissu.

Et les matériaux utilisés, dans tout ça ? Le coton est le plus courant pour la teinture bingata. Quant aux textiles kasuri, ils sont essentiellement en soie. Mais on retrouve aussi des matériaux plus originaux, en tout cas d’un point de vue européen. Le village d’Ogimi, au nord d’Okinawa, est connu pour le bashō-fu, un tissu fabriqué à partir des fibres… du bananier japonais. Doux et léger, il colle moins à la peau : bref, il est parfaitement adapté au climat humide de la région.

Pour terminer l’épisode, j’ai envie de vous présenter un dernier type de vêtement plus contemporain mais qui a toute sa place dans une histoire de l’habillement à Okinawa. Il s’agit des chemises kariyushi. Aujourd’hui, ces chemises à manches courtes et aux motifs tropicaux sont omniprésentes à Naha, le chef-lieu de la préfecture. Elles sont devenues une alternative courante du costume cravate. Les hommes politiques locaux et même les ministres en déplacement en portent.

À première vue, difficile de voir la différence avec les chemises hawaïennes. Et pour cause, le lien avec Hawaï est bien réel. C’est là que naissent les chemises kariyushi, à la fin des années 1960. À l’époque, Okinawa est encore sous administration américaine. Quatre gérants d’hôtels okinawaïens sont envoyés sur place pour s’inspirer de l’industrie touristique hawaïenne. L’objectif est de développer l’économie d’Okinawa, qui peine à se remettre des ravages de la Seconde Guerre mondiale. Pendant leur visite, ils sont emballés par les chemises hawaïennes. À peine rentrés, ils décident d’en créer une version propre à Okinawa.

Mais la mode ne prend pas tout de suite. Pendant les années 1980 et 1990, les ventes ne décollent pas. Ce n’est qu’en 2000 que la situation évolue. Pendant le sommet du G8, qui se déroule à Okinawa, les dirigeants des plus puissants pays du monde sont vus en train de porter les fameuses chemises. Leur production explose. Comme autre facteur qui a contribué à la demande, on peut aussi citer le slogan « Cool Biz ». Cool Biz, c’est une campagne gouvernementale qui cherche à limiter l’utilisation de l’air conditionné, et donc la consommation électrique. Et pour ça, elle encourage la population à s’habiller de manière moins formelle l’été. C’est comme ça qu’à Okinawa, les chemises à manches courtes commencent à remplacer les costumes-cravates. Si on y ajoute l’essor de l’industrie touristique, avec 10 millions de visiteurs en 2019, le succès des chemises kariyushi ne surprend plus. En 2022, il s’en est vendu 300 000 exemplaires. Une jolie réussite pour un vêtement dont personne ne voulait à sa création !

Au-delà des chemises kariyushi, l’artisanat d’Okinawa continue de se renouveler. Même si on continue de mettre en pratique les techniques traditionnelles, on utilise aujourd’hui davantage de teintures chimiques pour remplacer le traitement chronophage de l’indigo naturel. Ou bien on invente de nouveaux motifs plus contemporains pour satisfaire une nouvelle demande liée au tourisme. En bref, les textiles okinawaïens sont à la fois fiers de leurs racines et ancrés dans le présent.

Merci d’avoir suivi ce nouvel épisode de « Fascinant Okinawa ». J’espère qu’il vous a plu. Le mois prochain, on partira en immersion dans l’Okinawa d’après-guerre. Vous y découvrirez la vie sous occupation américaine et comment la préfecture est redevenue japonaise en 1972.

Pour terminer, j’ai envie de revenir sur un point important. Comme vous pouvez le constater, je réalise ce podcast en français, donc j’imagine que la plupart des auditeurs et des auditrices viendront de France ou d’autres pays francophones. Mon objectif, avec « Fascinant Okinawa », n’est pas de vous inciter à vous rendre sur place. En effet, la crise climatique que nous traversons s’aggrave, comme nous pouvons le voir avec les catastrophes naturelles qui se multiplient. L’un des gestes susceptibles de peser le plus dans notre empreinte carbone individuelle, c’est de prendre l’avion. Or, un aller-retour vers Okinawa depuis la France, ça représente 2,7 tonnes de CO2, soit plus que les 2 tonnes par personne et par an que l’on doit viser pour respecter l’accord de Paris sur le climat. Okinawa souffre aussi déjà de la sur-fréquentation touristique, qui impacte la population locale et l’environnement. Mon objectif avec ce podcast est de vous faire voyager depuis votre canapé, ou votre cuisine si vous êtes en train de faire la vaisselle, sans compromettre l’avenir de la planète ni la vie quotidienne des Okinawaïens.

Le mot de la fin : « Fascinant Okinawa » est un jeune podcast indépendant. Il a besoin de votre soutien ! Abonnez-vous, partagez cet épisode, parlez-en à vos ami-es qui aiment le Japon, l’histoire et la culture japonaises. Vous pouvez le retrouver sur vos plateformes de podcast habituelles. Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas aussi à consulter les sources dans la description de l’épisode. Enfin, n’oubliez pas de suivre le compte Instagram du podcast, @fascinant.okinawa. J’y publie de façon régulière du contenu complémentaire sur Okinawa, en particulier des cartes et des informations sur mes sources. Je serai ravi d’échanger avec vous et répondre à vos questions par ce biais.
En attendant, je vous dis à dans un mois pour le prochain épisode ! Salut !

Description de l’épisode

Dans ce huitième épisode, on lève le voile sur les textiles traditionnels d’Okinawa. Nées à l’époque du royaume de Ryūkyū, les teintures bingata et kasuri sont encore aujourd’hui des merveilles d’artisanat, avec des couleurs chatoyantes et des motifs complexes. Découvrez ici leurs origines et le secret de leur fabrication ! On fera aussi un détour plus contemporain avec l’histoire mouvementée des chemises kariyushi après la Seconde Guerre mondiale.
Connaissez-vous Okinawa ? Cette région au sud du Japon est surtout réputée pour ses plages paradisiaques et le fameux « régime d’Okinawa », supposé faire des miracles pour allonger l’espérance de vie. Dans « Fascinant Okinawa », je vous emmène au-delà de ces clichés. Venez découvrir l’histoire et la culture de ce territoire à la croisée des influences japonaises, chinoises et américaines.
Écriture et réalisation : Clément Dupuis
Musique : Keisuke Ito
Vignette : Clément Dupuis, sur la base d’illustrations des sites https://illust.okinawa et https://www.irasutoya.com
Retrouvez également « Fascinant Okinawa » sur Instagram : @fascinant.okinawa

Sources

Cherise Fong, “Ryukyu Bingata, Okinawa’s flamboyant dyeing tradition”. Visit Okinawa Japan, 17 février 2023. Disponible en ligne : https://visitokinawajapan.com/travel-inspiration/ryukyu-bingata-okinawa-dyeing/

Maho Fukui, “Unique attire of Okinawa now seen everywhere in the prefecture”. Asahi Shinbun, 15 mai 2023. Disponible en ligne : https://www.asahi.com/ajw/articles/14908256

“Kijoka banana fiber cloth”. Kogei Japan. Disponible en ligne : https://kogeijapan.com/locale/en_US/kijokanobashofu/

沖縄の伝統衣装「琉装」 (Le ryūsō : le costume traditionnel d’Okinawa). Naha Navi, 6 janvier 2022. Disponible en ligne (en japonais) : https://www.naha-navi.or.jp/magazine/2022/01/32831/

Shōta Ōshiro. 沖縄のかりゆしウエア製造数4年ぶり増加 2022年31万6171枚 コロナ禍明けで需要拡大 (Chemises kariyushi d’Okinawa : une production en hausse pour la première fois depuis 4 ans. 316 171 exemplaires vendus en 2022. Une augmentation de la demande après la crise du Covid). Okinawa Times, 10 juin 2023. Disponible en ligne (en japonais) : https://www.okinawatimes.co.jp/articles/-/1167625

“Ryukyu traditional textiles”. Kogei Japan. Disponible en ligne : https://kogeijapan.com/locale/en_US/ryukyubingata/

UNAGINO-NEDOKO Official. 【Ryukyu Bingata】OKINAWA STRUCTURE Vol.1 - Resist-dye technique of Japan. Vidéo disponible en ligne (japonais sous-titré) : https://www.youtube.com/watch?v=sGu4Tppi06E&list=WL&index=5&t=887s

UNAGINO-NEDOKO Official. OKINAWA STRUCTURE vol.2 The process and technique of Ikat textile of Okinawa, Japan. Vidéo disponible en ligne (japonais sous-titré) : https://www.youtube.com/watch?v=Dii3ayr-YxM&list=WL&index=4

Miho Yanagisawa. “The Textile Patterns of Okinawa”. Bureau des relations publiques du gouvernement japonais, décembre 2022. Disponible en ligne : https://www.gov-online.go.jp/eng/publicity/book/hlj/html/202212/202212_06_en.html

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